Au 1er janvier 2024, la première version du personnage de Mickey Mouse, telle qu’issue du film Steamboat Willie (1928), est tombée dans le domaine public, en dépit de la bataille sur plusieurs fronts menée par le groupe Disney depuis des années. Il avait pourtant été deux fois “sauvé” du domaine public, dont l’échéance était originellement prévue pour 1984, puis 2003.
Un empire vieux de 95 ans
Initialement, la durée de protection d’une œuvre aux Etats-Unis était au maximum de 56 ans après sa parution.
Avec le Copyright Act américain de 1976, la protection des œuvres fut fixée à 50 ans à compter du décès de l’auteur, et 75 ans à compter de la publication ou 100 ans à compter de la création -selon laquelle est la plus courte- notamment pour les œuvres répondant à la qualification de «work made for hire» (comprendre : en cas de commande)
Après la ratification de la Convention de Berne par les Etats-Unis, une loi d’extension de la durée de protection a été envisagée afin que les créations américaines bénéficient d’une protection comparable à celles des pays de l’Union européenne. C’est ainsi qu’en 1998, le Copyright Term Extension Act est venu étendre la protection à 70 ans à compter du décès de l’auteur, et 95 ans à compter de la publication ou 120 ans à compter de la création pour les œuvres « work made for hire ».
Le personnage de Mickey de 1928, qui devait tomber dans le domaine public 56 puis 75 ans après sa première sortie, a été “sauvé” in extremis par la loi de 1998, qui a également eu pour effet de prolonger la protection des œuvres publiées avant le 1er janvier 1978 à 95 ans.
Un Mickey peut en cacher un autre
Il ne faut pas s’y tromper : l’entrée dans le domaine public de Mickey ne porte que sur l’une de ses versions, à l’exclusion des autres. En effet, seule la première version de Mickey Mouse de 1928 (et de son aimable compagne Minnie) est tombée dans le domaine public. Il ne s’agit donc aucunement des déclinaisons plus modernes du personnage de Mickey qui, elles, font toujours a priori partie du patrimoine Disney.
A ce titre, la firme Disney a été formelle, estimant que « les versions plus modernes de Mickey ne seront pas affectées par l’expiration du droit d’auteur de Steamboat Willie, et Mickey jouera encore un rôle de premier plan en tant qu’ambassadeur mondial pour la Walt Disney Company dans notre narration, nos attractions de parcs à thème et notre merchandising. »
Ainsi, avant de reprendre le Mickey de 1928 en l’adaptant avec des traits plus modernes, une étude devrait nécessairement être conduite afin d’analyser si les adaptations ne sont pas susceptibles de constituer une atteinte aux droits d’auteur dont Disney dispose encore sur les versions récentes de la célèbre souris. Encore faut-il que ces reprises portent sur des éléments individuellement non-protégeables par la propriété intellectuelle.
En théorie, certains traits des versions plus récentes de Mickey pourraient être librement repris, sous réserve de démontrer l’absence d’originalité de ces traits en cas d’action par Disney, cette dernière ayant d’ailleurs assuré qu’elle continuerait à veiller à la protection de son personnage emblématique. L’appréciation finale reviendra naturellement aux juges du fond. Les gants blancs et le short rouge, ajoutés plus tardivement, peuvent-ils être librement repris ? Prudence est mère de sûreté.
Ainsi, il sera argumenté qu’il pourrait désormais être permis de reproduire mais aussi d’adapter Mickey 1.0 : de vouloir le coloriser, de changer ses traits ou ses expressions – tant que l’adaptation ne s’approche pas de trop près des versions modernes du Mickey par la reprise d’éléments originaux.
Cela n’est pas sans rappeler une affaire de 2014 opposant un auteur aux ayants-droits d’Arthur Conan Doyle devant la Cour d’appel des États-Unis pour le septième circuit, autour du personnage culte de Sherlock Holmes. En 2013, la quasi-totalité des œuvres d’Arthur Conan Doyle sont entrées dans le domaine public, à l’exception de dix d’entre elles. Un auteur avait alors souhaité publier un livre inspiré du personnage de Sherlock Holmes. Les ayants-droits estimaient que le personnage de Sherlock Holmes avait été développé jusqu’aux dix derniers ouvrages (et principalement dans ceux-ci), et que la construction de la complexité du personnage impliquait que ce dernier soit protégé jusqu’à ce que les dernières œuvres l’achevant tombent dans le domaine public. Pour certains, il s’agissait d’une tentative des ayants-droits d’étendre artificiellement la durée de la protection dont bénéficiait le personnage du détective. Ils furent déboutés, la Cour considérant que toute modification ultérieure du personnage dans les dix dernières œuvres, même si indépendamment originale et soumise à la protection, ne permet pas de faire revivre des droits d’auteur expirés sur le personnage original. La Cour confirma toutefois, afin de lever tout doute, que les dix dernières œuvres, qui sont dérivées des premières histoires, comportent des éléments originaux qui eux ne sont pas tombés dans le domaine public.
Mickey Marque
Naturellement, l’arrivée du célèbre personnage dans le domaine public avait été appréhendée de longue date par Disney, qui a stratégiquement procédé à des dépôts de marques (notamment en France et dans l’Union européenne) protecteurs de son personnage Mickey Mouse dans sa version de 1928 et fondateurs de son empire de licences.
Pour rappel, à la différence de la protection par le droit d’auteur qui est nécessairement limitée dans le temps s’agissant des droits patrimoniaux, la titularité d’une marque peut être indéfiniment renouvelée. Néanmoins, les droits sur une marque sont, comparés aux droits d’auteur, potentiellement perpétuels à condition d’être renouvelés assidûment.
Aux Etats-Unis, la Cour Suprême a déjà jugé que le dépôt de marques ne pouvait être utilisé comme un moyen pour contourner le droit d’auteur et en particulier l’expiration du monopole qu’il confère. Le droit des marques ne pourrait donc être invoqué pour restreindre illégitimement le droit à la création. Néanmoins, les marques Mickey déposées dans l’Union européenne répondent au régime juridique de ce territoire. Ainsi, l’usage au sein du territoire européen de la marque Mickey comportant la représentation graphique du personnage de 1928 doit être réalisé dans le respect du droit applicable.
Il est ainsi certain que Disney pourra s’opposer à l’usage, dans la vie des affaires, d’un signe similaire ou identique à sa marque déposée, pour présenter des produits similaires ou identiques. Ainsi, un faible degré de similitude entre les produits et services peut être compensé par un fort degré de similitude entre les signes en la cause (et inversement !)
S’abstenir d’utiliser à l’identique le signe graphique portant sur le personnage de Mickey de 1928 tel qu’il est enregistré par Disney pourrait ne pas suffire. Les juges pourraient être amenés, en étudiant le risque de confusion, à prendre en compte l’exceptionnel degré de connaissance de la marque antérieure Mickey sur le marché. Il serait difficile d’en nier la popularité. Ainsi, l’apposition de Mickey dans une version volontairement non similaire au signe enregistré sur des produits dérivés (largement commercialisés par Disney) pourrait présenter un risque certain si des mesures permettant d’éviter la confusion ne sont pas prises.
Plus encore, dans la mesure où le Walt Disney Studio a pour habitude de faire débuter ses films d’animation par l’apparition du Mickey de 1928, on peut s’imaginer que la reproduction dudit personnage dans un film produit par un tiers pourrait, sans précaution, laisser le consommateur penser que le film est produit par les studios Disney. Vigilance donc avant de procéder à une exploitation commerciale du Mickey de 1928.
Quel Mic(key)mac !
Que ce soit sur le fondement du droit d’auteur ou du droit des marques, il est toujours possible de se prévaloir des exceptions propres à chacun de ces deux régimes, la jurisprudence européenne considérant notamment que le droit à la liberté d’expression doit parfois prévaloir sur le monopole accordé à un actif immatériel. Pour le personnage de Mickey, l’exception de parodie, qui existe à la fois en droit des marques et en droit d’auteur (avec des critères toutefois différents), pourrait être utilement invoquée.
Enfin, on rappellera que la législation en matière de propriété intellectuelle varie selon les différents pays d’exploitation, ce qui impacte nécessairement de manière territoriale la protection (ou l’absence de protection) du Mickey qui est désormais dans le domaine public selon les règles du droit américain. Par principe, le domaine public n’est ainsi pas une notion homogène, et varie en fonction de la législation du pays dans lequel la protection d’une œuvre est recherchée, indépendamment du pays d’origine de l’œuvre (ou de l’auteur).
Il est également envisageable que Disney sorte du carcan de la propriété intellectuelle et entame différentes actions, par exemple sur le fondement de la concurrence déloyale et parasitaire, pour maintenir un certain contrôle sur les utilisations faites de Mickey. Indiscutablement tombé dans le domaine public (et donc librement appropriable) en vertu des règles du droit d’auteur, il n’en demeure pas moins que la liberté du personnage Mickey n’est que toute relative.