Avec Rembobinons, la pop-culture s’invite au débat et rencontre le droit. Coup de projecteur sur Emily in Paris” et la commercialisation d’un cocktail alcoolisé directement tiré de la série Netflix. 

Dans un épisode de la série, Emily, le personnage principal, découvre le cocktail « Kir Royal ». Forte de son expérience en marketing, elle propose même de le remettre au goût du jour dans une version prête-à-boire.

De la fiction à la réalité, il n’y eut qu’un pas : ce cocktail inspiré de l’univers de la série a bel et bien fini dans nos rayons, sous le nom de « Chamère » (lui aussi issu de la série). Le lancement publicitaire du produit en France, ainsi que son conditionnement, tiraient parti de l’univers de la série. 

Ici, a priori, pas de fashion faux-pas mais un faux-pas juridique à coup sûr. Le 18 décembre 2024, le Tribunal judiciaire de Paris appliquait la loi Evin, très spécifique au paysage législatif français, et interdisait la commercialisation dudit cocktail dans le cadre d’un litige initié par l’Association Addictions France (« AAF » ou « ANPAA ») à l’encontre de Carrefour France et Carrefour Drive.

Entre excès et degré : la loi Evin et la publicité pour l’alcool 

Sur le territoire français, la publicité pour l’alcool est strictement réglementée par la loi n° 91-32 du 10 janvier 1991, aussi appelée « loi Evin ». Afin de lutter contre l’incitation à la consommation excessive d’alcool, cette loi pose d’importantes limites s’agissant tant du support de diffusion que du contenu de telles publicités.

Pour encadrer les potentiels excès, le Code de la santé publique, via son article L. 3323-4, énumère exhaustivement les contenus auxquels la publicité peut faire référence sans risquer d’être censurée : l’origine historique et géographique du produit, sa composition, son mode d’élaboration, ses modalités de consommation…Il faudra encore que la présentation du produit soit objective et informative, et -évidemment- qu’elle ne constitue pas une incitation à la consommation excessive d’alcool.

En pratique, la jurisprudence a permis de poser les contours de l’interprétation et de l’application de la loi. Résultat ? Même si le contenu de la publicité est autorisé, la seule  présentation du produit pouvant conduire à suggérer ou à créer une association d’idées attractive, constitue selon les tribunaux une violation de la loi. 

Ainsi, des références plus ou moins subtiles à des thèmes tels que l’évasion, le rêve, la musique, la vie nocturne, le cosmopolitisme, les moments conviviaux, la séduction, la virilité, le sport, l’audace, ont été sanctionnées par nos tribunaux. Les affaires récentes démontrent en outre la volonté de nos juges de sanctionner les associations, par nature valorisantes, avec des célébrités du monde de la mode et de la musique notamment. 

Un degré de sévérité qui dépasserait les 10% du fameux « Chamère », quand l’on sait que pour le Conseil constitutionnel, « le législateur qui a entendu prévenir une consommation excessive d’alcool, s’est borné à limiter la publicité en ce domaine, sans la prohiber de façon générale et absolue ».

En d’autres termes, seule l’incitation à la consommation excessive contreviendrait à l’objectif de santé publique de la loi … principe qui semble cependant malmené par certaines décisions récentes de nos tribunaux.

Fin de trinquerie pour le Kir royal d’Emily in Paris

Avec la décision du 18 décembre 2024, le Tribunal judiciaire de Paris a signé la fin du « Chamère » en France, obligeant Carrefour France et Carrefour Drive à retirer toute représentation des boissons alcooliques comportant la mention « Emily in Paris » sur leur site de vente en ligne, et plus généralement  leur a interdit toute commercialisation en rayon. 

Cette conclusion, guidée par une interprétation classique de la loi Evin, s’est justifiée pour deux raisons.

Premièrement, l’association entre pop culture, entertainment et alcool ne fait pas bon ménage. Dans notre cas, les preuves d’illégalité n’ont pas manqué : existence d’un site internet avec pour nom de domaine « emilyinparis » reliant à un compte Instagram promotionnel renvoyant vers le site internet « macave.carrefour », lui-même évoquant une nouvelle fois la série, en parlant d’« esprit chic et dynamique ». Pas de doutes, la communication est en dehors des mentions limitativement autorisées par l’article L. 3323-4 et a pour objet d’inciter le consommateur en capitalisant sur le phénomène populaire de la série.

Cette position n’est d’ailleurs pas étonnante. Les tribunaux français ont, à de nombreuses occasions, rappelé qu’il était interdit de se servir de l’image de personnalités célèbres pour promouvoir une boisson alcoolique. Par analogie, l’inspiration puisée dans une série célèbre telle que la série Game of Thrones pour promouvoir la bière Grimbergen avait déjà été condamnée par les juges d’autant qu’elle avait pour but de cibler un jeune public.

En second lieu, le tribunal affirme que les restrictions de la loi Evin s’appliquent au conditionnement d’une boisson alcoolique s’il est le support de mentions publicitaires. 

Il est vrai que la soumission des conditionnements à la loi Evin n’est pas expressément prévue par les textes. L’article L.3323-4 rappelle seulement que, s’agissant des références autorisées « le conditionnement ne peut être reproduit [sur une publicité] que s’il est conforme [à la loi Evin] ». Néanmoins, l’AAF avait déjà obtenu du juge des référés le retrait de la vente de conditionnements qui constituaient une incitation forte à la consommation. 

La Cour d’appel de Paris a également considéré que, le législateur imposant à la reproduction du conditionnement le respect de la loi Evin, le conditionnement constitue bien un support publicitaire au sens de cette même loi.

Pas de surprise derrière la décision du Tribunal judiciaire de Paris donc !

Plus surprenant en revanche lorsqu’il réaffirme – assez dogmatiquement, à notre sens – que « la publicité […] n’est pas par nature incitative ». Une position qui rouvre l’éternel débat sur la nature incitative de la publicité et au cas précis, si la publicité en faveur d’une boisson alcoolique peut être incitative tant qu’elle ne vise pas une consommation excessive

Pourtant, l’incitation – à tout le moins l’achat- est propre à la nature publicitaire d’une communication. Une telle distinction, en tout état de cause, paraît périlleuse car subjective.

La position du Tribunal, qui revient à interdire à la publicité en faveur d’une boisson alcoolique d’être incitative, va à l’encontre de la position du législateur qui ne l’interdit pas à tout prix. 

Au demeurant, l’article L. 3323-2 du Code de la santé publique évoque « la publicité ou la propagande », ce dernier terme concédant sans équivoque à la publicité une action d’influence sur le consommateur, qui vise à le convaincre, même lorsqu’il s’agit d’alcool.

Une boisson qui laisse des tâches ? 

L’Association Addictions France, en cherchant à faire condamner les sociétés Carrefour et Carrefour drive, s’est aventurée sur un autre terrain sanctionné par la loi Evin : les opérations de parrainage. Entendues comme tout soutien, matériel ou financier, apporté à une activité, un événement ou une personne, elles sont illégales lorsqu’elles ont pour objet ou effet la propagande ou la publicité, directe ou indirecte, en faveur d’une boisson alcoolique.

Faute d’avoir réussi à rapporter la preuve de l’existence d’un partenariat avec la marque « Chamère », la demande a été rejetée par le Tribunal. 

Et pour cause. A notre sens, la relation commerciale entre les sociétés Carrefour et le fabricant de « Chamère » s’apparente, en réalité, à une relation classique de fourniture/distribution et non à du parrainage. La question de l’existence d’un parrainage illicite pourrait éventuellement se poser du côté de la relation entre les producteurs de la série et le fabricant de la boisson, celle-ci résultant vraisemblablement d’une collaboration internationale. Reste à savoir si la loi pénale française lui serait applicable.

Il semble que cette question n’arrête pas l’AAF qui, dans son communiqué, a indiqué vouloir désormais poursuivre le fabricant de la boisson « Chamère »… Un rappel que l’association est particulièrement proactive en matière d’actions contre divers acteurs économiques impliqués, même indirectement, dans la promotion et la vente de boissons alcooliques. Les professionnels du secteur et les supports publicitaires doivent donc être particulièrement vigilants, car leur responsabilité peut être engagée, même s’ils ne sont pas à l’origine de la publicité ou n’ont qu’un lien limité avec la marque promue.

En bref, avant de pouvoir trinquer en toute sérénité, le regard d’un expert peut aider ! Spécialisé en loi Evin, le département Droit de la consommation d’UGGC Avocats est là pour vous accompagner. 

  • publié le 3 mars 2025