Le « closing » d’une opération de M&A ou de private equity (acquisition, prise de participation, LBO…) marque l’étape ultime de ce type de transaction. Les bureaux d’UGGC Avocats accueillent depuis 30 ans ce type de “cérémonie” qui rassemble toutes les parties prenantes : acheteur, vendeur, investisseur, conseils financiers… et évidemment leurs avocats. Mais à quoi aurait ressemblé un closing sous l’Empire romain ? Cette Uchronique vous propose de refaire l’histoire pour interroger le présent.

Le closing en 2023 : dénouement des opérations de M&A et private equity

Pour un avocat et surtout son client, le closing est toujours un moment particulier. Après des semaines de négociations, d’itérations sur des projets, de tensions et parfois de nuits blanches, le closing marque l’aboutissement des opérations de fusion-acquisition (M&A) et de private equity. C’est le « jour J ».

Un closing commence généralement de bon matin chez les avocats de l’une des parties. Après une ultime vérification des actes devant être signés, les parties armées de leurs plus beaux stylos, apposent leurs signatures et, lorsque tout est en ordre, donnent les instructions de paiement (du prix dans le cadre d’une vente ou d’une souscription dans la cadre d’un investissement). Vient alors l’attente de la confirmation du paiement et enfin, la délivrance. C’est usuellement à ce moment que les parties relâchent la pression, célèbrent la réalisation de l’opération autour d’une coupe de champagne et que les discours de remerciement interviennent.

Les modalités des closings ont évolué dans le temps au gré des évolutions techniques/technologiques : les plus anciens se souviendront de la fin du paraphe sur chaque page grâce aux assemblats et celle de l’attente interminable d’un document devant un fax – ou encore de la disparition du chèque de banque au profit du virement. Mais globalement, jusqu’à récemment le cérémonial était sensiblement le même et reposait sur une réunion physique.

L’utilisation de la signature électronique, initiée avant la pandémie de Covid s’est accélérée depuis la crise et les impossibilités de se réunir physiquement. La simplicité et la facilité de cet outil ont abouti à la dématérialisation totale de certains closings. C’est vrai, pourquoi continuer à se rencontrer quand toutes ces opérations peuvent désormais s’effectuer à distance ?

La réponse est peut-être (en partie) dans l’histoire.

Le recours à l’imaginaire pour mettre en scène une vente réelle

Si nous remontons dans le temps et imaginons qu’UGGC avait officié durant la Rome antique, il n’y aurait évidemment pas eu d’ordinateur, ni d’imprimante, ni même de champagne d’ailleurs. Nul doute en revanche que la toge nous aurait sied à toutes et à tous.

Les textes de cette époque relatent l’existence de la mancipatio ou mancipium, aussi dite cérémonie de la « mancipation » qui s’appliquait aux ventes de biens appelés res mancipi (majoritairement des biens non usuels comme des terres, les esclaves ou des animaux de traits). La mancipacio (du latin manus, la main, et capio, prendre) était une manière dérivée et solennelle d’acquérir la propriété en simulant une vente réelle.

En pratique, la mancipacio supposait la présence non seulement des deux parties mais également de cinq témoins, citoyens romains et d’âge pubère et d’une autre personne tenant une balance et un lingot d’airain (pièce de cuivre) appelé Libripens.

Tous les participants réunis, l’acheteur s’emparant du bien, déclarait en substance : 

« Par le droit des Quirites*, j’affirme que [ce bien] est le mien, et il est acheté par moi avec cette monnaie et cette balance d’airain ».

Il frappait alors la balance avec la pièce de monnaie et la transmettait au vendeur comme symbole du prix. Cette courte formalité est une vente simulée était un préliminaire à l’acte de vente proprement dit.

« Statère en or des Cénomans ou Aulerques-Cénomans», Région du Mans (France), Ier siècle avant J.C. , © CGB.fr Numismatique Paris.*

La mancipacio permettait de formaliser la vente non pas en échangeant la valeur réelle du paiement, mais en donnant à la mancipation la solennité d’une vente légitime. Ce qui prédominait ici, c’était l’effet symbolique de déclarer la vente pleinement consommée, par paiement avec un métal lourd, et devant témoins. Les éléments rituels étroitement liés à la vision du monde des Romains était incorporés : le sens de la propriété comme droit absolu et la fidélité dans la parole des témoins.

Matérialiser l’impalpable

Si la mancipacio s’appliquait pendant les périodes archaïques et préclassiques, au cours desquelles les sources des droits étaient restreintes dans leur applicabilité, on peut imaginer qu’au-delà d’une problématique de preuve, les Romains accordaient une réelle importance à ce cérémonial. L’Histoire nous rappelle ainsi qu’un closing, au-delà d’une transaction, est un symbole.

Les closings sont parfois l’aboutissement d’une vie de travail et, en tout état de cause, une histoire humaine. Sans nécessairement revenir à la balance et un lingot d’airain antiques, on ne peut que militer pour des closings en « présentiel » mêlant à la fois les avantages de la modernité et la préservation de sa dimension humaine et symbolique. Sans oublier, avec modération évidemment, une coupe de champagne.

Un peu d’étymologie pour briller en société

A noter, pour finir : la mancipacio était également utilisée par les paterfamilias*, pour émanciper leur fils. La Loi des Douze Tables prévoyait qu’un père qui vendait son fils trois fois perdait son autorité paternelle. Il fallait donc vendre trois fois son fils comme esclave à un ami. Celui-ci l’affranchissait systématiquement pour que le fils soit libéré de l’autorité du père, et puisse poser lui-même des actes juridiques… l’occasion de réfléchir à l’étymologie du mot “émancipation” !


* Quirite : le corps civique
*pères de famille
*Cette photographie est sous licence publique Creative Commons Attribution-Share Alike 4.0 International,
  • publié le 13 septembre 2023