Avec la rubrique « Uchronique », 90° réinvente l’histoire.
Alors que le musée d’Orsay s’apprête à nous offrir une formidable rétrospective de l’œuvre de Vincent Van Gogh, un mystère persiste, 133 ans après sa mort : que s’est-il passé le dimanche 27 juillet de l’année 1890, au moment où le plus fameux des peintres incompris perd la vie ?
Le déroulement de cette journée lugubre est auréolé de mystère. Vincent Van Gogh, comme tous les jours, quitte l’auberge Ravoux où il demeure et part s’isoler dans les champs autour d’Auvers-sur-Oise. Il tente de trouver un peu de calme en s’immergeant dans la nature et dans la peinture. Soudain, les oiseaux s’envolent après une forte détonation : l’artiste est touché à la poitrine d’une balle en dessous du cœur. Il se traîne jusqu’à l’auberge Ravoux où il déclare « J’ai voulu me tuer je me suis raté ». Il meurt deux jours plus tard.
Meurtre ? Suicide ? Accident ? De nombreux experts se sont penchés sur les raisons de ce geste. Un temps, l’hypothèse du règlement de compte par un créancier véreux a pu faire douter le monde de l’art mais aujourd’hui, la majorité des experts, confortés par les paroles du principal intéressé, s’accordent sur une tentative de suicide.
Ces mêmes experts nous expliquent que c’est en raison de ses problèmes d’argent et de la crainte de voir son frère Théo Van Gogh (son seul soutien financier) quitter Paris pour, croit-il, ouvrir une galerie en Hollande.
En 2023, un bon avocat aurait-il permis d’éviter au peintre hollandais cette fin tragique ?
En termes économiques et avec les mots de notre époque, Vincent Van Gogh est un artiste, travailleur indépendant et producteur d’œuvres totalement originales dans un marché fermé aux œuvres nouvelles. En termes comptables, il n’y a bien sûr aucun capital et si l’on considérait qu’il y a un patrimoine affecté, celui-ci ne comporterait éventuellement que quelques dizaines de pinceaux et des toiles vierges difficilement vendables à cette époque.
Pour ce qui est du passif, simplifions les choses en considérant qu’il n’y a aucun passif autre que les sommes dues à son frère Théo, qui est en quelque sorte son banquier, et que ces dettes ne sont pas exigibles.
Comme beaucoup d’entreprises, Vincent Van Gogh dépend du maintien du crédit de ce banquier, autrement dit de la confiance de ce dernier. Son frère ne l’a jamais abandonné et les experts estiment qu’il lui versait environ 15 000 euros par an ce qui lui permettait de continuer à peindre et de payer ses dépenses de vie courante. À ce moment, il n’est juridiquement pas en état de cessation des paiements.Toutefois, sans le soutien de son banquier et en l’absence de ressources propres, le peintre va certainement se retrouver contraint de solliciter l’ouverture d’une liquidation judiciaire avec, le cas échéant, le bénéfice du rétablissement professionnel qui permet la poursuite d’activité.
Toujours avec les outils de notre époque, nous lui aurions proposé une mesure de prévention qui n’existe que depuis une trentaine d’années et qui consiste, grâce à la nomination d’un tiers par le président du tribunal de commerce ou du tribunal judiciaire, à tenter de trouver une sortie amiable entre créancier et débiteur.
Les mesures de prévention comme les mesures de médiation permettent une prise de conscience des intérêts de chacun et favorisent l’émergence d’un accord obtenu dans près de 75% des cas. Or, qu’aurait fait ce conciliateur ? Il aurait immédiatement d’une part écouté et rassuré Vincent Van Gogh, puis pris contact avec Théo Van Gogh, lequel lui aurait confirmé qu’il était hors de question pour lui d’arrêter de soutenir son frère.
Conclusion : comme d’autres chefs d’entreprise dans sa situation, Vincent Van Gogh s’est donné la mort pour des raisons économiques, faute d’avoir pu en parler autour de lui, et surtout faute de mesures de prévention, inexistantes à l’époque. L’artiste aurait-il souhaité en bénéficier ? La question reste posée, à relire ce passage d’une lettre écrite à son frère en janvier 1886 : “Nous serons pauvres et nous souffrirons la misère aussi longtemps qu’il le faut, comme une ville assiégée qui n’entend pas capituler, mais nous montrerons que nous sommes quelque chose”.