📆9 AVRIL 2024. Ce jour-là, la Cour européenne des droits de l’Homme (CEDH) rend un arrêt historique en matière climatique et environnementale. Explications.
Tout commence en 2016, quelque part entre Genève et Zurich. Un groupe de femmes retraitées et engagées sous le nom de « Verein KlimaSeniorinnen Schweiz » (association des « Aînées pour la protection du climat »), décide d’interpeller le gouvernement suisse pour inaction face au réchauffement climatique. Créée spécifiquement pour porter un procès climatique, l’association dépose, à peine fondée, une requête inédite « en cessation des actes illicites par omission en matière de protection du climat ».
Les juridictions suisses rejettent systématiquement les demandes des militantes. Mais le découragement ne fait pas partie de leur plan. Leur motivation ? Prouver que l’inaction gouvernementale menace leur santé et par extension leurs droits fondamentaux. En décembre 2020, elles portent l’affaire à Strasbourg, devant la Cour européenne des droits de l’Homme (CEDH). L’enjeu dépasse alors les simples frontières helvétiques et devient véritablement paneuropéen.
Pas de retraite pour les droits de l’Homme
L’insuffisance des actions étatiques en matière climatique peut-elle constituer une violation des droits garantis par la Convention européenne des droits de l’Homme ? La question posée par l’association est inédite et complexe.
Il n’est donc plus question ici des seules obligations écologiques ou économiques des États. C’est fondamentalement le droit – et même les droits fondamentaux – qui sont en balance. A ce titre, le cas des KlimaSeniorinnen se fonde sur l’article 2 (droit à la vie) et l’article 8 (droit au respect à la vie privée et familiale) de la Convention européenne des droits de l’Homme.
Une procédure inhabituelle et capitale se profile à l’horizon. Jusqu’à présent, rares étaient les affaires climatiques à pouvoir franchir l’étape des requêtes recevables devant la CEDH.
Pour que la Cour puisse se positionner, encore fallait-il démontrer un lien de causalité entre l’inaction du gouvernement et l’atteinte à la santé des requérantes. C’est désormais chose faite. Depuis le 9 avril 2024, l’impact des dérèglements climatiques sur les personnes âgées vulnérables est désormais reconnu et protégé sur le fondement de l’article 8 mais également de l’article 6 (accès à un procès équitable) de la Convention. L’affaire ouvre un champ nouveau devant la Cour : un droit fondamental climatique.
Voilà qui fait date.
Pour la première fois, de manière explicite, la Cour accepte d’affronter l’articulation complexe entre droits fondamentaux et enjeux climatiques. En recevant cette affaire, elle ouvre la voie à de potentiels futurs recours contre d’autres Etats membres du Conseil de l’Europe.
Avant le 9 avril 2024, il y eut en 2019 le procès Urgenda aux Pays-Bas. De manière inédite, un gouvernement avait été contraint par sa justice nationale à réduire ses émissions de gaz à effet de serre. Ce procès avait d’ailleurs motivé nos militantes à passer à l’action. Côté français, « l’Affaire du Siècle », dont le volet administratif se poursuit, avait abouti à la reconnaissance de la responsabilité de l’Etat français pour inaction face au réchauffement climatique. Avec l’affaire Verein KlimaSeniorinnen Schweiz contre Suisse, le pallier européen est définitivement franchi.
En attendant, les KlimaSeniorinnen, auront réussi à démontrer une chose essentielle : il n’y a pas d’âge pour changer le monde – ou du moins pour faire réfléchir ceux qui en ont la responsabilité. Voilà sans doute une belle leçon d’action durable et transgénérationnelle…