Cette Uchronie propose de plonger dans l’univers des domaines viticoles, pour tirer des leçons utiles aux chefs d’entreprise et aux entrepreneurs désireux de trouver une solution de financement adéquate. « In vino veritas » – Et si, en termes de stratégie de financement aussi, c’était dans le vin que se trouvait la vérité ?
« A noble demeure, belle charpente » – La barrique, symbole du vigneron
Saviez-vous que l’histoire de la barrique n’a pas débuté avec le vin ? Les inventeurs de ces tonneaux en bois, les Celtes, les utilisaient au départ pour stocker leur nourriture et la cervoise, la bière de l’époque.
Le commerce des barriques s’est accéléré au cours du 18ème siècle, car celles-ci rendaient le transport des vins beaucoup plus aisé (leur forme arrondie les rend plus facile à déplacer, et elles sont moins fragiles que les amphores). C’est à l’occasion des longs voyages notamment vers les Etats-Unis que l’on a réalisé que le bois pouvait avoir un effet très recherché sur le goût du vin. La maturation dans un contenant en bois apporte de la complexité à ce jus de raisin fermenté, grâce à des vertus aromatiques et aux échanges entre l’oxygène et les composants du vin.
Ainsi, à travers les siècles, le tonneau est devenu un symbole de la filière vinicole. Pourtant, seuls 3% des vins produits dans le monde sont élevés dans ces cylindres de bois. Mais pas n’importe quels 3% : l’on parle ici des vins « premium ». D’ailleurs, les grandes maisons pensent cet usage avec beaucoup d’attention. Les bouteilles les plus prestigieuses sont issues d’assemblages de lots ayant suivi des élevages dans des bois différents. C’est ainsi que les vignerons précautionneux choisissent leurs fûts en fonction non seulement des ambitions en volume, mais aussi de la qualité recherchée. Les maisons de tonnellerie ont souvent des liens très particuliers avec leurs clients. La barrique, c’est une affaire sérieuse, un gage de qualité et de noblesse : c’est l’un des assets qui semble incontournable pour un domaine.
Quand la barrique peut faire tourner en bourrique
Mais voilà. Les barriques, c’est cher. Le deuxième poste d’investissement pour les vignerons qui s’installent de zéro ou qui décident de reconstituer entièrement leur parc. Pour donner un ordre d’idée, un fût neuf de chêne français coûte entre 600 € et 800 €. Sachant qu’il faut environ un tonneau de 200 litres pour produire 260 bouteilles de vin, nul besoin d’être un prodige des mathématiques pour comprendre que l’addition peut vite grimper.
Car malgré les premières apparences trompeuses, il ne s’agit pas d’un article détaillant l’histoire de la barrique à travers les âges. Il est question ici de modes de financement d’un actif nécessaire à l’exploitation.
On rembobine.
Le vigneron, en tant que responsable d’exploitation agricole, est à la tête de son entreprise et de ses moyens de production. Il gère non seulement les activités courantes (à la vigne et à la cave), mais aussi, souvent, le financement de son entreprise et des considérations administratives. Sans compter, évidemment, d’être capable d’avoir le meilleur bilan comptable possible pour rassurer ses fournisseurs et clients. Du temps donc passé à faire autre chose que sa fonction principale : faire du vin et le commercialiser.
Alors voilà, nos vignerons passent un temps incompressible à gérer des tâches externes. Et la gestion du parc de barrique en fait partie, pour plusieurs raisons. Déjà, parce que tout actif doit être inscrit dans un bilan comptable, qu’il faudra ajouter la ligne idoine à son bilan, en calculer l’amortissement. Ensuite, à cause de la durée de vie des barriques : généralement de 5 à 7 ans. Le bois, matière “vivante”, a une date de péremption. Mais encore, l’activité viticole n’est pas une science exacte. Les vendanges peuvent varier d’une année sur l’autre de façon très significative, ce qui implique de réorganiser les chais chaque année. D’autant que les barriques vides demandent de l’entretien et génèrent des coûts supplémentaires.
Ainsi, il existe un marché secondaire, invisible du grand public : celui des barriques. Chaque année, les vignerons qui doivent ajuster leurs parcs cherchent à acquérir ou céder des contenants. Les barriques peuvent avoir plusieurs vies, soit en se mettant au service d’autres types d’alcool (les spiritueux notamment), soit pour devenir des éléments de décoration. Mais là aussi, ces transactions deviennent chronophages. Trouver des acheteurs, remplir les démarches administratives qui y sont liées, c’est du temps investi. Certains domaines font le choix de souscrire à un système de location financière. Les vignerons ne sont plus propriétaires, mais locataires de leurs fûts. Quoi ? Ne vient-on pas de montrer que le choix des fûts est une des clés de voûte du travail de vinification et un argument de la valeur de leur exploitation ?
S’affranchir de ce que l’on croit incontournable
Ce changement de paradigme, ce renoncement à la propriété du matériel de vinification présente pourtant des avantages certains. En termes de gestion comptable et de rachat / revente, voilà du temps gagné. C’est aussi une rationalisation de la valeur des actifs de l’entreprise : ces actifs loués ne sont pas inscrits au bilan (car n’appartenant pas au domaine) et ainsi ne viennent pas grever ce dernier par l’endettement d’acquisition miroir en résultant. Enfin, les propriétés viticoles ne disposent pas toujours de la structure ni des volumes suffisants pour optimiser la revente des barriques usagées. Malin lorsqu’il s’agit du financement des activités…
Dans un secteur où l’endettement financier est très important, la mise en place d’un tel procédé permet de faire appel à des modes de financements plus évolutifs. C’est séduisant pour les créanciers (fournisseurs ou banques), qui voient un risque de crédit atténué du domaine considéré car la location financière ne vient pas alourdir son bilan comptable. De plus, la notion environnementale est un argument de taille, puisque le principe de la location permet d’imaginer une mise à niveau régulière des barriques, et de leur donner plusieurs vies.
Cet exemple du monde du vin est une leçon pour d’autres opérateurs économiques. Les entrepreneurs construisent leur business plan avec des dépenses d’investissement incompressibles et doivent trouver les financements adéquats pour ces dernières. Un avocat le constate régulièrement lorsqu’il assiste ses clients sur les aspects juridiques de ces montages financiers. S’ajoute le temps passé à gérer des tâches externalisables auprès d’experts qualifiés. Il existe certainement nombre de modèles à déployer qui permettraient de préserver davantage les capacités d’endettement, de gagner du temps, de centraliser des fournisseurs et clients, et de profiter de services de gestion des assets.
Ainsi, les entrepreneurs et chefs d’entreprise pourraient remettre en question la notion des indispensables, et imaginer un système plus vertueux afin de se consacrer pleinement aux activités où leur valeur ajoutée est la plus forte. En d’autres termes, les vignerons passeraient davantage de temps à la vigne, et moins à la stratégie de financement de leur entreprise. Chacun retrouvant son cœur de métier. À la vôtre !