8 février 1873. Ce jour-là, le Tribunal des Conflits rend une décision qui fera date en droit administratif.

Retour en arrière : début novembre 1871. Agnès Blanco, une fillette de 5 ans et demi, se balade innocemment à proximité d’un quai bordelais juché de wagonnets cheminant vers la manufacture des tabacs locale. Faute à pas de chance, ou plutôt à l’un des ouvriers de la manufacture, un wagonnet chute sur la jambe de la fillette, la condamnant à l’amputation.

Face à une telle tragédie, Blanco père souhaite que justice soit doublement rendue : il assigne l’ouvrier devant le tribunal civil et l’Etat lui-même pour la responsabilité des dommages causés par son agent. 

À qui la faute ? 

C’est là que le Tribunal des Conflits entre en scène. Sa mission ? Résoudre les conflits de compétence entre l’ordre judiciaire, traitant des litiges civils, et l’ordre administratif, régissant notamment à l’époque les rapports entre l’Etat et les personnes privées. La tâche est de taille car, jusqu’alors, la question de la responsabilité de l’Etat du fait de ses agents ne se posait pas : il est irresponsable, le droit civil ne pouvant lui être appliqué. 

Le Tribunal des Conflits tranche : l’Etat n’est, certes, pas civilement responsable, mais l’est en raison de l’implication de son agent dans l’accident. La compétence revient au juge administratif, l’Etat peut donc être jugé et les victimes dédommagées. Autrement dit, lorsqu’il y a service public, il y a droit administratif : la compétence suit le fond.

Voilà qui fait date.

Au-delà du simple enjeu de compétence juridictionnelle, l’arrêt Blanco définit la base de la matière administrative. D’une part, la responsabilité de l’Etat du fait des agents publics est administrative, d’autre part, elle répond à des « règles spéciales qui varient suivant les besoins du service et la nécessité de concilier les droits de l’Etat avec les droits privés ».

Pour autant, si l’arrêt Blanco pose le cadre de la répartition des compétences telles qu’on les connaît encore aujourd’hui, il serait illusoire de penser que le choix du juge compétent est simple et binaire. Le législateur a parfois décidé d’attribuer un bloc entier de compétences à l’un des deux ordres juridictionnels, comme en 1957 où la loi confie au juge civil la compétence en matière d’accidents de véhicules y compris lorsqu’ils impliquent une personne publique. Par ailleurs, la répartition des compétences repose sur des concepts qui parfois coexistent, rendant difficile le choix du bon juge.

Et cela, sans compter sur les litiges qui relèvent à la fois de la compétence du juge administratif et de celle du juge judiciaire, entraînant leurs lots de questions préjudicielles et de débats.

151 ans après l’arrêt Blanco, le Tribunal des Conflits, institué par l’article 89 de la Constitution de 1848, a encore de beaux jours devant lui…

  • publié le 2 février 2024