Un flashback de « Rembobinons » sur la série culte « Le Prisonnier » de la fin des années 1960 qui a marqué les esprits par son caractère prémonitoire et son esthétique  emblématique. Coup de projecteur sur l’importance  du «design» et sa protection par les dessins et modèles.

1967. Outre-Manche, les téléspectateurs découvrent une série télévisée dont les 17 épisodes vont marquer l’histoire du petit écran. Entre thriller paranoïaque et science-fiction, Le Prisonnier suit un ex-agent britannique des Services Secrets de Sa Majesté (incarné par Patrick McGoohan) kidnappé et assigné à résidence dans le Village. Lieu mythique de la fiction british, cet endroit est perché sur un monticule rocheux gardé par la mer…et par un énorme ballon blanc étouffant toute tentative de fuite. Chaque résident a un secret et un numéro pour l’identifier. Notre héros est “Numéro 6” , et le spectateur n’a bientôt qu’une question en tête : arrivera-t-il à s’échapper?

Acte 1 :  le design dans le décor pour créer l’ ambiance 

Architecture des maisons, mobilier intérieur, espaces publics, bureaux du « maire », et autres taxi-méharis : le décor soigné de la série contribue à une atmosphère de cocon artificiel. Les bureaux de l’équipe «municipale» sont futuristes -pour l’époque- avec un mobilier en rondeurs années 1960 dans de grandes salles de réunion avec écrans panoramiques et caméras omniprésentes. L’atmosphère anxiogène est par ailleurs soulignée par le dévoilement d’un espace souterrain confiné de couloirs et cellules.  

L’architecture et le mobilier sont évidemment de précieux outils pour créer une ambiance.  Leur protection a été (et continue d’être) assurée par le droit d’auteur mais également par le droit des dessins et modèles qui protège « l’apparence d’un produit ou d’une partie d’un produit ».  La présence du Grand Bi dans la série, notamment dans son générique de fin, est une bonne introduction au droit des dessins et modèles. 

Ce vélo datant de 1870 était très populaire à la fin du XIXe siècle dans les courses cyclistes, mais disparut avec l’invention d’un pneu de vélo en caoutchouc vulcanisé que Dunlop breveta en 1888. Cette nouveauté faillit d’ailleurs compromettre l’entreprise des frères Michelin qui utilisèrent pour la première fois en 1895 des pneumatiques sur une automobile. 

A la fin du XIXe siècle, il n’existait pas en France de protection juridique spécifique aux créations utilitaires ayant un aspect esthétique. La première loi française sur les dessins et modèles industriels date du 14 juillet 1909, après une première loi anglaise de 1787 (Designing and Printing of Linen Act). Aux Etats-Unis, la protection était assurée depuis le XIXe siècle par le dépôt de « utility patents » ou de « design patents », selon la dimension utilitaire ou esthétique de l’innovation. L’Europe connaissait essentiellement les brevets pour les  inventions à caractère technique. Le récent régime européen des dessins et modèles (D&M) date d’une directive de 1998 et d’un règlement de 2001 qui protègent les dessins et modèles ayant un caractère nouveau et individuel. Depuis plus de deux ans, ces textes font l’objet d’une action de modernisation substantielle avec un nouveau règlement et une nouvelle directive de l’UE sur les dessins et modèles en cours de finalisation   

L’industrie automobile a toujours utilisé les dessins & modèles, notamment pour protéger les pièces de rechange, contribuant ainsi à une jurisprudence européenne nourrie. Aujourd’hui, les impératifs d’économie circulaire comme de réparation /recyclage ont assoupli la protection des dessins et modèles concernant les pièces détachées visibles pour réparation. 

L’architecture a aussi beaucoup évolué avec la modélisation généralisée des données de conception-construction des bâtiments (BIM) qui permet une possible propriété conjointe de ces modèles par l’architecte et le développeur du modèle. 

 

Acte 2 : le design amoureux du style  

Revenons à notre série culte, en prêtant désormais attention au look des protagonistes. Le Prisonnier adopte le style « gentleman cool » : col roulé, veste blazer bleu marine,  espadrilles bleu foncé, capes bariolées et chapeaux féminins façon Peter Pan. Un autre monument télévisuel des 60’s, Chapeau melon et bottes de cuir,  affichait  quant à lui un style  plus déluré, les deux séries  jouant sur les codes de l’élégance british.   

Le design est roi depuis longtemps dans l’univers de la mode et s’approprie toutes les avancées technologiques de création. La mode surfe sur les vagues stylistiques depuis toujours  (vintage, sportswear, minimaliste, BCBG, …) et son cycle court fait que la protection par D&M (cinq ans renouvelables cinq fois) est particulièrement appropriée.  

L’arrivée dans le stylisme de l’intelligence artificielle, qui peut produire un flux constant d’images, peut rebattre les cartes sur la qualité et les droits des créateurs. Le spectaculaire défilé de mode Coperni de septembre 2022 où la mannequin Bella Hadid  quasi-nue a vu sa robe peinte sur elle sur scène, tout comme le nouveau «wearable AI pin» de Coperni qui est protégé par des utility & design patents marquent une évolution rapide du « design »  dans la mode et une protection mixte  par le droit D&M et le droit d’auteur applicable au logiciel. 

 

Acte 3 : le design en route pour une Second Life pérenne ?

Les projets de règlement et directive européens confirment que le D&M protège « l’apparence d’un produit » et le droit du titulaire d’autoriser toute reproduction de sa forme dans un logiciel,  notamment pour l’impression 3D.  L’aspect visuel visible est l’objet de la protection du produit physique ou numérique, statique ou animé. Il est désormais possible d’enregistrer des D&M numériques auprès des offices de propriété intellectuelle. Le Paquet Dessins & Modèles (Règlement et Directive Européennes) prend ainsi en compte les nouveaux modes de création dans un environnement numérique ainsi que la nécessité d’une clause de réparation des pièces des produits complexes. 

Par ailleurs,  l’harmonisation internationale des procédures de dépôt des D&M se profile avec la signature d’un Design Law Treaty sous l’égide de  l’Organisation mondiale de la propriété intellectuelle prévue pour 2024  . Déjà, début 2022, l’adhésion de la Chine au système de la Haye a marqué un tournant, portant à presque 100 le nombre total de pays adhérents à ce système international d’enregistrement des dessins et modèles.  

L’IA, le web 3.0 et la création collaborative auront une partition importante à jouer dans ce nouvel opus pour la création. Numéro 6 pourrait-il s’accommoder de ce changement de récit conduit par l’IA ?  N’étant pas un contemplatif, c’est loin d’être certain. 

  • publié le 7 décembre 2023