Avec la rubrique « Latitudes », 90° change d’échelle pour décrypter le droit au niveau international. Pour cette nouvelle édition, notre GPS indique 4°15′ 00″ N, 16° 52′ 00″ O : direction l’Office européen des Brevets, basé dans la ville allemande de Munich
Le 1er juin 2023, soit un demi-siècle après la création du brevet européen le 5 octobre 1973 par la Convention de Munich, voici que naît son petit frère, le brevet européen « à effet unitaire », plus communément appelé « brevet unitaire », issu d’un ensemble de traités formant la « coopération renforcée ».
Depuis 50 ans, le brevet européen permet, grâce à un dépôt unique auprès de l’Office européen des brevets (OEB) situé à Munich, de demander la protection d’une invention à titre de brevet dans la plupart des pays de l’Europe au sens géographique, soit 38 pays au total : des pays membres de l’UE, mais également des pays non-membres de l’UE (tels que le Royaume-Uni, la Suisse, la Turquie ou encore la Norvège). Une fois délivré par l’OEB, ce brevet européen se « transforme » en autant de brevets nationaux, qui doivent ensuite être validés par les offices nationaux, puis traduits dans les différentes langues nationales.
Le brevet unitaire, lui, sera délivré selon la même procédure que celle du brevet européen, mais, au moment de la délivrance, le titulaire aura la possibilité, soit de demander un brevet européen classique (c’est-à-dire des brevets nationaux), soit de demander un brevet à effet unitaire, c’est-à-dire un titre unique, indépendant des législations nationales. Les phases de validation et de traduction dans les différents pays sont donc supprimées. Un brevet unitaire publié dans l’une des trois langues officielles de l’OEB (français, anglais allemand), et traduit dans les deux autres langues officielles, n’aura pas à être traduit dans les autres langues de l’UE pour être opposable sur l’ensemble du territoire de l’Union Européenne.
A ce jour, la coopération renforcée regroupe 17 pays dans lesquels le brevet unitaire produira ses effets: l’Allemagne, l’Autriche, la Belgique, la Bulgarie, le Danemark, l’Estonie, la Finlande, la France, l’Italie, la Lettonie, la Lituanie, le Luxembourg, Malte, les Pays-Bas, le Portugal, la Slovénie et la Suède. Au terme du processus de ratification en cours, 25 pays devraient prendre part au brevet unitaire, soit tous les pays membres de l’UE sauf la Croatie et l’Espagne.
Un brevet simplifié accessible à tous
Pour maintenir en vigueur un brevet unitaire, le titulaire devra s’acquitter d’une taxe annuelle unique, réglée directement auprès de l’OEB. Il s’agit naturellement d’une simplification importante par rapport au brevet européen, qui exige pour son maintien en vigueur le paiement d’autant de taxes qu’il y a de brevets nationaux délivrés, selon des procédures et des délais de paiement propres à chaque office national de propriété industrielle.
En outre, le montant de cette taxe annuelle est particulièrement avantageux, puisqu’il correspond à la somme totale des taxes annuelles actuellement acquittées pour les quatre pays dans lesquels les brevets européens sont le plus souvent validés aujourd’hui (à savoir l’Allemagne, la France, le Royaume-Uni et les Pays-Bas). Pour un même investissement donc, le déposant disposerait d’une protection dans 4 pays s’il a recours au brevet européen, et dans 17 pays (à terme 25), s’il a recours au brevet unitaire. Par ailleurs, le brevet unitaire ne nécessite pas de traduction dans l’ensemble des pays revendiqués, contrairement au brevet européen, ce qui représente une économie substantielle.
A terme, le coût d’un brevet unitaire sera donc de moins de 5 000 euros si le brevet unitaire est maintenu en vigueur pendant 10 ans, et d’environ 35 000 euros s’il est maintenu en vigueur pendant 20 ans, durée de vie maximale d’un brevet. À titre de comparaison, le coût de maintien en vigueur d’un brevet européen, dans les mêmes pays, pendant 10 ans, s’élève à 29 000 euros environ, et à près de 159 000 euros pour 20 ans.
L’écart de coûts est donc considérable : le brevet unitaire devrait donc rapidement convaincre de nombreux déposants : PME, ETI, groupes industriels, universités, centres de recherche, inventeurs individuels etc.
Une juridiction supranationale spécialisée
Corollaire du brevet unitaire, la Juridiction Unifiée du Brevet (JUB) a été créée par l’Accord relatif à la JUB (AJUB) signé le 19 février 2013 par les États membres de l’UE (excepté la Croatie, la Pologne et l’Espagne), puis ratifié par 17 Etats membres (en ce inclus l’Allemagne, la France et l’Italie). L’AJUB est également entré en vigueur le 1er juin 2023.
La Juridiction Unifiée du Brevet est un véritable OVNI dans le paysage judiciaire européen : elle n’est ni une juridiction nationale, ni une juridiction de l’Union européenne, mais une juridiction supranationale commune aux Etats membres ayant ratifié l’AJUB. Traitant des questions de validité et de contrefaçon du brevet unitaire nouvellement créé, mais également de ces mêmes questions pour ce qui concerne le brevet européen, elle est la première juridiction européenne à trancher sur le fond des litiges de droit privé entre particuliers. La JUB comprend un tribunal de première instance (dont la division centrale est située à Paris), plusieurs divisions locales et régionales, et une cour d’appel siégeant à Luxembourg. Elle comprend des juges multinationaux, qualifiés pour certains sur le plan juridique, pour d’autres sur le plan technique. Son règlement de procédure, approuvé en 2022 et rédigé par des spécialistes du contentieux des brevets d’invention, constitue une synthèse de ce qui ce fait de mieux dans les différents systèmes juridiques européens.
Actuellement, les litiges relatifs à la validité et à la contrefaçon du brevet européen sont tranchés par les juridictions nationales. Si le titulaire d’un brevet européen souhaite exercer ses droits issus d’un brevet européen, ou si un tiers souhaite contester la validité d’un brevet européen, il doit donc agir dans autant de pays européens qu’il y a de pays dans lesquels le brevet européen en question produit ses effets. Ces litiges, menés en parallèle dans plusieurs pays, représentent un coût important, souvent dissuasif, qui prive en grande partie le brevet européen de son efficacité réelle.
Par ailleurs, les juges nationaux ne sont pas nécessairement assez formés à ce contentieux très spécifique qui nécessite un bagage scientifique et technique. En outre, l’accumulation de contentieux nationaux pour une même affaire aboutit inévitablement à des décisions divergentes, créant une insécurité juridique qui entame la confiance des déposants. Enfin, une pratique de « forum shopping » s’est installée, chacune des parties cherchant à tirer profit des différences procédurales entre les diverses juridictions nationales.
La JUB vise donc à remédier à ces insuffisances en centralisant le contentieux des brevets en Europe auprès d’une juridiction spécialisée unique, ayant compétence exclusive pour connaître tant des litiges relatifs aux brevets unitaires, que des litiges relatifs aux brevets européens. S’agissant de ces derniers, les tribunaux nationaux demeureront compétents pendant une période transitoire de sept ans (soit jusqu’au 30 mai 2030), période durant laquelle les demandeurs auront le choix de porter leur litige soit devant la JUB, soit devant les juridictions nationales. Il ne fait nul doute que la JUB emportera rapidement tous leurs suffrages.