Comme le droit, la société évolue : avec “Pépite d’archive”, retour vers le passé pour mieux éclairer notre présent. Autrefois, de nombreux employeurs prenaient largement en charge la vie de leurs salariés, y compris en dehors du travail. Ce paternalisme a laissé place à un nouveau rapport à l’entreprise : entre besoin d’émancipation et protection des collaborateurs, la recherche de cet équilibre a suscité des conflits.
En 2009, une grande banque française sollicite notre cabinet d’avocats UGGC pour nous demander conseil sur les conditions d’externalisation de sa mutuelle d’entreprise. Un sacré changement ! La mutuelle était en effet gérée en interne depuis…1929. Sans parler de l’enjeu économique colossal (quelques 80 millions d’euros), l’affaire témoigne de l’évolution inéluctable du rôle de l’employeur dans la vie de ses salariés.
Revenons aux faits. Pour répondre à la demande du client, nous préconisons en premier lieu l’engagement – toujours souhaitable – d’une négociation syndicale sur le sujet. Quant à la procédure, nous optons simplement pour une information / consultation du comité central d’entreprise et la dénonciation du contrat de mutuelle. Parallèlement, nous conseillons de transmettre l’information aux salariés et retraités sous délai de prévenance raisonnable.
L’annonce inquiète et fâche. Les représentants du personnel, également administrateurs de la mutuelle d’entreprise, perdent un financement colossal d’activité sociale et culturelle pour les quelques 40 000 salariés et retraités de la banque. De concert avec la mutuelle, ils saisissent le tribunal de grande instance. L’affaire, qui ira jusqu’en cassation, se clôture en 2017 par une décision de la Cour Suprême. Celle-ci valide la procédure suivie par la Banque et rejette toutes les demandes d’indemnisation comme de poursuite de l’ancienne mutuelle d’entreprise. Parmi les raisons invoquées, il est jugé que la banque pouvait valablement dénoncer son engagement de financement de la mutuelle, qui constituait une activité sociale et culturelle dont le comité central d’entreprise n’avait pas souhaité reprendre la gestion.
La fin de l’approche paternaliste
Cette affaire, qui nous a beaucoup occupés (et même préoccupés), est une illustration forte de l’évolution sociétale de l’employeur. Autrefois, le paternalisme était une pratique courante dans les entreprises, où les employeurs prenaient soin des besoins de leurs salariés, de leur bien-être pendant comme en dehors des heures de travail. C’est ainsi que nos grandes entreprises françaises avaient parfois leur propre régime de mutuelle ou de retraite. Les salariés partaient en vacances dans les centres de l’entreprise, déjeunaient dans la cantine de l’entreprise, … On entrait chez un employeur en début de carrière, pour la finir dans la même entreprise, en ayant passé sa vie professionnelle et personnelle avec ses collègues de travail.
Cette approche paternaliste a progressivement été remplacée par une vision moins intrusive, plus équilibrée et responsable de la relation employeur-employé. Aujourd’hui, l’employeur est responsable de la santé et de la sécurité de ses employés dans le cadre professionnel, et doit prendre toutes les mesures nécessaires pour garantir un environnement de travail sûr et sain. Il en va parfois de sa responsabilité pénale.
Le comité social et économique (CSE) a quant à lui pris le relais de la prise en charge du bien-être des salariés, ayant acquis le monopole des activités sociales et culturelles, dont il peut réclamer la gestion… et les moyens financiers associés.
Une évolution parfois contentieuse
L’équipe sociale d’UGGC Avocats a accompagné plusieurs grandes entreprises dans cette évolution, souvent douloureuse, et parfois contentieuse, avec des enjeux financiers colossaux, de désengagement des régimes de mutuelle ou de retraite « maison ». Les représentants élus du personnel, les organisations syndicales et les salariés eux-mêmes ont dû faire le deuil de cet employeur providence.
Les conditions de sortie de ces régimes, tant sur le plan contractuel, que pour la continuité des droits des salariés, qui devait évidemment être assurée, posaient de multiples problématiques juridiques et sociales.
L’attention de l’employeur s’est reportée sur les conditions de santé et de sécurité dans lequel il doit constamment maintenir ses salariés. La démarche consiste alors à s’assurer du bon niveau des mesures prises, et l’on observe un élargissement du champ de la maladie professionnelle aux perturbations mentales des salariés, qui sont imputées à l’environnement de travail, un chef trop autoritaire, ou même une organisation néfaste, qui crée un risque systémique.
Mais dans un environnement de pénurie de personnel, l’employeur reprend sa casquette si ce n’est paternaliste, du moins de “Gentil Organisateur”, pour créer un environnement de travail où les salariés, en particulier les plus jeunes, auront envie de rester et de s’impliquer. Tant pour garantir sa production que pour retenir ses talents et préserver sa réputation, l’employeur fait toujours plus que de simplement fournir un salaire.
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