L’annonce de la vente par la France, le 17 novembre 2025, de 100 avions de combat Rafale à l’Ukraine a été perçue comme un geste spectaculaire de soutien militaire dans la guerre contre la Russie. À première vue, la France renforcerait la puissance aérienne ukrainienne pour faire face aux forces russes. Pourtant, cet accord n’a pas pour but de changer le cours militaire du conflit aujourd’hui, mais de préparer la souveraineté ukrainienne de demain.
L’enjeu est une dissuasion post-guerre, pour quand le conflit cessera –après un accord politique ou une stabilisation négociée – et où l’Ukraine devra garantir seule sa sécurité face à une Russie affaiblie, mais menaçante et avec une volonté affirmée de dominer le continent européen. L’acquisition des 100 Rafales doit être comprise comme une brique majeure d’un futur système de défense souverain, et non comme un instrument direct dans la guerre actuelle.
Une livraison étalée : un programme sur dix ans et non un renfort immédiat
La communication politique a parfois laissé croire à une montée en puissance rapide de l’aviation ukrainienne. Or, la réalité industrielle est différente. Dassault Aviation a un carnet de commandes exceptionnellement rempli : Inde, Égypte, Indonésie, Émirats arabes unis, Grèce et Croatie sont sur liste d’attente. Les capacités de production sont maîtrisées, mais limitées par choix industriel et technologique.
Résultat : les 100 Rafale destinés à l’Ukraine seront livrés progressivement sur une période de 8 et 12 ans. Ils ne joueront donc aucun rôle opérationnel dans le conflit actuel. Cette temporalité longue n’a rien d’un défaut mais confirme que l’accord vise la reconstruction de la puissance aérienne ukrainienne lorsque le bruit des armes se sera tu.
Une transformation complète de la flotte ukrainienne
Le projet français n’est d’ailleurs pas isolé : quelques semaines avant la lettre d’intention avec Paris, l’Ukraine a signé un accord avec la Suède portant sur jusqu’à 150 avions JAS-39 Gripen.
Ces deux annonces traduisent une stratégie claire :
- sortir définitivement de l’héritage post-soviétique (MiG-29, Su-27, Su-25),
- standardiser la flotte autour d’appareils occidentaux,
- répartir les risques industriels et géopolitiques entre deux fournisseurs européens,
- construire un outil aérien capable de dissuader toute agression future.
Le Gripen, produit par Saab, est léger, agile et peu coûteux à entretenir. Le Rafale, quant à lui, est une plateforme polyvalente de très haut niveau, apte à la suprématie aérienne, à la frappe profonde, et à la dissuasion conventionnelle.
L’alliance de ces deux flottes constituerait un système aérien complet et souverain pour l’Ukraine, capable de restaurer l’intégrité de son espace aérien après la guerre et de dissuader toute ré-escalade future.
L’Europe comme alternative aux États-Unis – et comme antidote à la dépendance russe
Cette double orientation franco-suédoise montre que de plus en plus d’États cherchent à éviter la dépendance stratégique envers les États-Unis ou la Russie en matière d’armement.
La France et la Suède, grâce au Rafale et au Gripen, se positionnent comme les seules puissances aéronautiques non-américaines capables de proposer une solution complète, interopérable et exportable.
Ce rapprochement s’inscrit dans une dynamique plus large : la France a elle-même récemment commandé à Saab deux avions de veille aérienne (programme GlobalEye sur lequel le cabinet UGGC Avocats est intervenu), preuve que la coopération entre Paris et Stockholm est désormais stratégique et durable.
Le Rafale : un appareil supérieur aux plateformes russes
Dans toutes les compétitions internationales où il s’est retrouvé face à des appareils russes, le Rafale a été classé supérieur.
Parmi les programmes où le Rafale est sorti gagnant contre des offres incluant Su-30, Su-35 ou MiG-35, on peut citer :
- l’appel d’offres indien MMRCA (face au MiG-35 et au Su-30 modernisé),
- les compétitions aux Émirats arabes unis,
- le programme égyptien,
- la compétition malaisienne,
- plusieurs évaluations techniques non publiées rendues publiques par des forces aériennes partenaires.
Pour l’Ukraine, cet avantage technologique garantit que sa flotte post-guerre ne sera non seulement moderne, mais supérieure à celle de son adversaire.
Le financement européen : le rôle du mécanisme SAFE
Concernant le financement, les montants en jeu – potentiellement plusieurs dizaines de milliards d’euros (le prix d’un Rafale sans équipements, maintenance et armements dépasse 100 millions d’euros) nécessitent des instruments adaptés comme le mécanisme SAFE (Security Action for Europe), créé en 2025 par l’Union européenne pour financer les acquisitions de défense. SAFE est un mécanisme de prêt à long terme pour soutenir les États membres et leurs partenaires stratégiques.
L’Ukraine, bien qu’elle ne soit pas membre de l’UE, peut participer à ces projets en tant que partenaire et SAFE pourrait financer progressivement ces acquisitions.
Conformité au Traité sur le commerce des armes (TCA) : un enjeu central pour un contrat de cette ampleur
Sur le plan juridique, la vente des Rafales à l’Ukraine soulève la question de la conformité au Traité sur le commerce des armes (TCA), auquel la France est partie et qui encadre strictement l’exportation d’armements majeurs. Le TCA impose aux États exportateurs une obligation de diligence renforcée pour prévenir tout transfert d’armes susceptible de contribuer à des violations du droit international humanitaire, des droits humains ou à l’aggravation d’un conflit armé.
Dans le cas présent, l’analyse juridique française repose sur un élément clé : les livraisons s’inscrivent dans une logique de souveraineté post-guerre. Les premiers appareils ne seront livrables que d’ici huit à douze ans rendant l’évaluation conforme aux standards du TCA : il ne s’agit pas d’un transfert destiné à influer sur un conflit actif, mais d’un investissement de sécurité légitime conçu pour la période post-accord de paix. Cette temporalité, combinée au caractère défensif du projet, permet de répondre aux exigences du TCA quant à la prévention de risques d’escalade ou de détournement.
La France devra néanmoins procéder aux évaluations obligatoires du TCA : analyse du risque de détournement, vérification de l’usage final, garanties étatiques, documentation sur le contrôle des exportations et engagement de non-réexportation. À cet égard, l’Ukraine, déjà bénéficiaire de multiples programmes OTAN et UE en matière de sécurisation des armements, offre aujourd’hui un cadre de conformité plus solide que d’autres importateurs.
En pratique, l’opération représente un cas d’école d’application du TCA à un contrat de dissuasion stratégique à long terme : un transfert d’armement majeur structuré pour soutenir la paix future plutôt qu’alimenter l’escalade présente, conformément à l’esprit et à la lettre du Traité.
Conclusion : une annonce tournée vers la paix, non vers l’escalade
La vente de 100 Rafales ne doit être vue comme un geste guerrier supplémentaire mais bien comme un investissement en souveraineté, prévu pour la période post guerre lorsque la reconstruction institutionnelle et militaire de l’Ukraine aura commencé. Ces appareils contriburont à assurer la capacité de l’Ukraine à se défendre à long terme
Les Rafale français et les Gripen suédois ne sont pas destinés aux mois qui viennent :
ils sont destinés aux décennies qui suivront la paix.



