Signé par un associé ou par un invité, ce billet d’humeur se nourrit de l’expertise de son auteur qui partagera une réflexion sur le monde, un sujet d’actu, une question philosophique, par le spectre de son domaine de compétence. 

Au cours de la dernière décennie, les avancées en informatique quantique (IQ) — portées par des puissances de calcul inédites — bouleversent de nombreux secteurs et mobilisent des investissements massifs tant privés que publics: cryptographie, stockage d’énergie, simulation moléculaire, santé, etc. Cet article dresse un panorama forcément réducteur à ce stade d’un secteur en plein essor qui challenge le droit.

Voyage dans un temps rapproché, celui des découvreurs du monde quantique  

A partir de 1900, les recherches de Max Planck (sur le « corps noir » et les causes de la chaleur rayonnante d’un four), celles d’Einstein sur la relation entre la matière et l’énergie (la lumière étant constituée de « paquets d’énergie qui la fait se déplacer) et de Niels Bohr sur la dualité « onde ou corpuscule » de l’électron, posent les jalons de la mécanique quantique.  

L’informatique quantique est aujourd’hui un domaine d’application pratique avancé et très compétitif. Contrairement à l’informatique classique, qui utilise des bits prenant la valeur 0 ou 1, l’informatique quantique repose sur le qbit qui est la plus petite unité de stockage d’information  du monde de l’infiniment petit, doté de qualités surprenantes.

En effet, un qbit peut se trouver simultanément dans plusieurs états grâce au principe de superposition : il incarne à la fois 0, 1, ou une combinaison des deux. À cela s’ajoute la propriété d’intrication, qui permet à des qbits d’être corrélés de façon telle que l’état de l’un influence instantanément l’autre, même à distance éloignée. Le qbit peut aussi être onde ou corpuscule et traverser une barrière isolante. Ces caractéristiques offrent aux ordinateurs quantiques la capacité d’effectuer des calculs d’une complexité hors de portée de la majorité des ordinateurs usuels du commerce. 

Mais le développement de l’informatique quantique n’est pas une promenade tranquille. Les qbits sont extrêmement sensibles à leur environnement : la moindre perturbation peut entraîner la perte de l’information (phénomène de décohérence). Pour fonctionner, les machines quantiques nécessitent donc des conditions de stabilité extrême, souvent à des températures proches du zéro absolu (-273,15°C). Une des perspectives majeures dans le domaine réside dans l’articulation entre informatique quantique et intelligence artificielle, qui pourrait permettre de nouveaux progrès dans la correction des erreurs quantiques et l’optimisation des calculs.

Des champs d’application multiples 

L’informatique quantique permet des calculs extrêmement complexes notamment dans les domaines de la cryptographie, de la pharmacie (simulation moléculaire de nouveaux médicaments), de la connaissance des matériaux (propriétés à l’échelle atomique, supraconductivité), des capacités de stockage d’énergies ou d’entraînement de l’IA par un apprentissage décuplé de données. Ces nouvelles capacités et connaissances impactent de nombreux secteurs, parmi les plus sensibles comme la défense, l’espace et l’énergie. 

Les grandes entreprises du secteur privé s’y sont grandement intéressées, particulièrement les GAFAM qui investissent dans les sociétés de l’IQ et la course à la puissance de calcul. Microsoft propose un service quantique cloud sur sa plateforme Azure Quantum. Google annonce des performances récentes de calculs quantiques et Amazon Web Services lance sa première puce pour l’IQ diminuant jusqu’à 90% les coûts de corrections d’erreurs. Cet engouement s’explique aussi par le fait qu’à l’échelle atomique, les données restent secrètes et ne sont pas copiables jusqu’à nouvel ordre. 

L’écosystème quantique français se développe activement avec les sociétés Pasqual, C12, Qandela, Chipiron et Alice & Bob. Le prix Nobel de physique 2025 a d’ailleurs été attribué à 3 personnes dont 2 ex-collaborateurs de la société française Alice & Bob, leader reconnu de l’IQ tolérante aux erreurs.  

Les gouvernements cherchent à se doter de législations adaptées, à ré-évaluer leurs partenariats stratégiques, à actualiser leurs investissements et leurs réglementations. L’exercice est compliqué car de nombreux accords transnationaux sont concernés et doivent être actualisés dans un contexte de révolutions techniques rapides et d’un temps règlementaire long. L’adoption en Europe de l’IA Act et son application contestée notamment par les GAFAM n’augure pas une harmonisation consensuelle à l’international. Cela n’empêche pas Sam Altman (Chat GPT) d’annoncer une « IA générale » à court terme d’ici à 2030 et META et Google de réfléchir à des « world models ». 

 Quelle(s) feuille(s) de route des Etats et des organisations internationales face à l’IQ ?

Diverses politiques se construisent et visent plusieurs secteurs : la protection de la propriété intellectuelle, la sécurité de la cryptographie, l’actualisation des règles contractuelles (entre développeurs, fournisseurs et utilisateurs des techniques quantiques) et l’adoption de  standards dans le domaine de l’interopérabilité et de la sécurité des infrastructures.  L’impact stratégique n’échappe à personne et la loi de programmation militaire française (LPM) 2024-2030 a donné un élan certain dans le développement d’outils quantiques de navigation et  communication.

 La protection de la Propriété intellectuelle

Selon l’INPI, les dépôts de brevets en informatique quantique (matériel et logiciel) ont explosé depuis dix ans, principalement aux États-Unis et en Chine, puis en Europe (Allemagne, Royaume-Uni, France). Face à cette hausse des dépôts, l’Office européen des brevets a actualisé en 2025 ses directives pour distinguer trois catégories d’inventions: qbits physiques, algorithmes quantiques et applications dérivées.

La protection des interfaces quantiques par le droit d’auteur reste non harmonisée à l’international. La question de la titularité des œuvres créées par IA ou ordinateurs quantiques demeure débattue. Un arrêt de la CJUE du 24 octobre 2024, Kwantum Nederland BV v. Vitra Collections AG (C-227/23) rappelle que seuls les dispositifs européens priment et que les États membres ne peuvent instaurer de limitations nationales non prévues par la directive européenne sur le droit d’auteur ou la charte européenne.

La sécurité de la cryptographie 

C’est un sujet prioritaire pour les Etats car l’IQ est en effet capable de « casser » la cryptographie. Le secteur de la défense est éminemment concerné comme l’a rappelé le Ministre des Armées lors du forum France Quantum du 10 juin 2025. L’apport de l’IQ a été souligné notamment s’agissant des capteurs permettant une navigation très précise, du calcul quantique de masses de données complexes et de la sécurité renforcée des communications grâce à un internet quantique.

Pour l’heure, une préoccupation majeure est de prévenir le décryptage rétroactif de données sensibles que permettrait l’IQ. Les œuvres numériques sont aussi des cibles potentielles. Afin de les protéger face aux attaques quantiques, la loi du 7 juin 2025 sur la sécurité post quantique impose désormais une mise à niveau des MTP (Mesures Techniques de Protection) pouvant affecter la protection juridique qui leur est accordée notamment par l’art L331-5 du code de la propriété intellectuelle.

L’actualisation nécessaire des obligations contractuelles des acteurs 

Les développeurs, fournisseurs et utilisateurs de technologies quantiques sont particulièrement concernés par les questions de titularité d’un droit d’auteur, d’interopérabilité et  de responsabilité dans un contexte où le droit  des contrats doit s’adapter aux particularités des nouveaux environnements technologiques 

Le défi d’une régulation adaptée

La régulation chemine lentement sur ces sujets des droits de propriété intellectuelle applicables, des règles de confidentialité, de responsabilité, d’interopérabilité, de transparence et de sécurité de l’IA et de l’IQ.

La gestion territoriale des droits de propriété intellectuelle et du droit applicable est à nouveau un défi ; la compétence européenne prévue par le Règlement UE 2025/1024 du 20 mars 2025 en cas de traitement quantique localisé dans un pays européen est confrontée notamment aux systèmes chinois et américain revendiquant leur compétence territoriale quantique.  La loi française de programmation militaire 2024-20230 a fixé des objectifs pour les ordinateurs quantiques, l’IA, les unités robotisées et les essaims de drones.

Il est important que le groupe de travail créé par la Conférence de la Haye sur le DIP (droit international privé) pour établir les « principes de juridiction quantique » parvienne à faire accepter son ou ses critères d’identification du « centre de gravité quantique » dans chaque litige international.  

Côté européen, il était grand temps que la Commission Européenne se saisisse publiquement de l’avenir et du régime  de l’IQ . Elle l’a fait en organisant notamment en Juin 2025 une audition publique sur le Quantique, l’IA et le Cloud et en annonçant une stratégie quantique européenne de recherche et d’innovation d’ici à 2030, mettant l’accent sur (i) les nouvelles générations de supercalculateurs et d’ordinateurs quantiques, (ii)  un internet quantique européen, (iii) des programmes et technologies sur le climat, le spatial et la sécurité. Elle annonce également un projet de règlement sur le quantique en 2026 (Quantum Act). 

La petite musique du quantique va crescendo et ne va pas manquer de caisse de résonance dans les débats et stratégies urbi et orbi d’exploration de ses potentialités.

Pour aller plus loin :

 

  •  Pour une approche plus ludique et accessible, deux bandes dessinées : Le Mystère du monde quantique de Matthieu Burnat et Thibault Damour, chez Dargaud (2016)  Quantix de Laurent Schafer chez Dunod (2021).
  • publié le 3 novembre 2025