Une photo, un flou juridique. Ce sixième numéro de Zone grise s’attarde sur un terrain où création et technologie se confondent : les droits d’auteur à l’épreuve de l’intelligence artificielle.
Avec la force d’une révolution silencieuse, l’intelligence artificielle (IA) générative transforme la création artistique et littéraire. Ce bouleversement pousse les autorités et les tribunaux à adopter une position ferme : les œuvres produites de manière autonome par l’IA ne peuvent bénéficier de la protection du copyright. Elles manquent d’une empreinte humaine créative.
Cette exigence d’intervention humaine “substantielle” est au cœur des lois sur le copyright qui cherchent à récompenser l’expression originale de l’esprit humain.
Aux Etats Unis, le U.S. Copyright Office (USCO) a récemment affirmé que les résultats générés par l’IA sont protégeables seulement si un humain a déterminé des éléments expressifs suffisants. Pour les œuvres mixtes, seules les contributions humaines sont protégées. L’USCO a ainsi refusé plusieurs enregistrements pour des œuvres purement ou majoritairement générées par IA, menant à des recours en justice rejetés.
“L’aube”, “l’espace”ou “l’entrée au paradis”, rien n’est protégé
Quelques cas sont emblématiques :
- Le plus commenté concerne A Recent Entrance to Paradise, une œuvre créée par l’IA « Creativity Machine » de Stephen Thaler. Son créateur a tenté de la faire protéger par le droit d’auteur, mais sa demande a d’abord été rejetée pour absence d’auteur humain. En mars 2025, dans l’arrêt Thaler v. Perlmutter, la Cour d’appel fédérale a finalement tranché : le Copyright Act de 1976 exige un auteur humain, excluant ainsi les créations entièrement autonomes des machines.
- Même logique pour le roman graphique Zarya of the Dawn. L’USCO a révoqué le copyright initial accordé, refusant la protection des illustrations générées par Midjourney (IA), parce qu’elles manquaient d’intervention humaine créative. Seule la partie textuelle humaine et l’arrangement global ont été protégés.
- D’autres refus ont suivi : pour une image Midjourney du Théâtre D’opéra Spatial en 2023, ainsi que pour l’œuvre hybride de SURYAST réalisée à partir d’un Van Gogh. Dans les deux cas, l’intervention humaine a été jugée insuffisante.
Au-delà des États-Unis, plusieurs juridictions ont adopté des positions similaires.
Au Royaume-Uni, où la loi de 1988 prévoit pourtant une protection pour les « œuvres générées par ordinateur », l’Intellectual Property Office (IPO) a conclu en 2023 que les prompts basiques ne suffisent pas à conférer une originalité humaine.
Quant aux pays de l’Union Européenne, la Cour de Justice de l’UE (CJUE) exige une « propre création intellectuelle de l’auteur ». En mai 2024, un tribunal tchèque a refusé le copyright pour une œuvre IA. Une première dans l’UE.
Selon le consensus, le copyright récompense l’humain, pas la machine.
Pour résumer : l’Europe et les Etats Unis militent pour protéger la création humaine.
Seule la Chine a jusqu’ici adopté une approche opposée. Un tribunal de Pékin a en effet jugé que les images générées par IA peuvent être protégées, soulignant l’investissement intellectuel de l’utilisateur. La sélection des prompts et ses affinements ont été considérés comme des actes de créativité humaine.
Cette évolution du droit d’auteur implique un besoin de transparence pour les entreprises. Car l’IA génère un paradoxe : elle crée de la valeur tout en menaçant la propriété intellectuelle. En effet, lorsque la contribution de l’algorithme devient prépondérante, la protection s’évanouit, et avec elle, la clarté, voire la validité des contrats de droits d’auteur. Pour éviter cette dissolution d’actifs, une précaution doit être prise : les salariés doivent documenter méticuleusement leurs dialogues avec l’IA afin de garantir la pérennité des droits de l’entreprise.
L’IA impacte la valeur des entreprises
L’absence de protection des créations issues de l’IA affecte le calcul de la valeur des entreprises, particulièrement lors des fusions-acquisitions. En l’absence de droits au sens traditionnel, les revenus liés à la propriété intellectuelle sont remis en cause. Les sociétés doivent donc se tourner vers d’autres modèles d’estimation et de sources de revenus, comme la monétisation sur YouTube par exemple, une façon de redéfinir leur valeur.