Peut-être faisiez-vous partie du lot de vacanciers à replonger cet été dans le roman d’Orwell 1984. Un choix de lecture inspiré par une époque où les mots malmenés semblent pouvoir dire tout et leur contraire, au gré des informations non vérifiées, des débats portés par l’émotion, ignorant – consciemment ou non – les faits.
Le roman dystopique d’Orwell raconte les aventures de Winston, employé au ministère de la Vérité du Parti l’Angsoc pour remanier les archives en vue de faire correspondre le passé à la version officielle.
Parmi les armes du parti visant à contrôler les esprits, se trouve aussi la fameuse novlangue dont l’objet est la réduction du nombre de mots et la destruction de la logique.
Ainsi, dans cette novlangue, on ne dit plus “excellent” mais “Doubleplusbon”. Si le mot “libre” existe encore, c’est pour désigner une place disponible. Et pour dire « communiquer, affirmer, insister, soutenir, prétendre, répéter, clamer, proclamer », il ne reste plus que le mot « marteler ».
Autre originalité de la novlangue : elle admet les propositions contradictoires. Ainsi, “la guerre, c’est la paix”, “la liberté, c’est l’esclavage”, “l’ignorance, c’est la force”.
Diminuant le nombre des mots, l’Angsoc efface la possibilité du développement des idées et de la pensée critique. En effaçant la contradiction logique, le parti annule l’incohérence. De quoi se donner le champ « libre ».
Face à ce roman dystopique écrit en 1948 – et qui prend des accents réalistes en 2025 – quel écho pour le juriste ?
À l’instar des académiciens, des professeurs de français, des sémiologues ou des dramaturges, nous manions les mots, tous les jours. Certes pas de la même manière, mais ces mots restent notre matière première.
Tous les jours, nous cherchons le mot juste pour délimiter rigoureusement le cadre de nos contrats. Grâce aux mots et à leur signification précise, nous pouvons définir les termes du contrat sans laisser aucune place à l’interprétation. Cette mission de clarification et de délimitation constitue l’essence même de notre pratique juridique.
Sans la richesse des mots, sans leur nuance si particulière, sans leur maniement logique, que nous reste-t-il ?
Profitons de cette reprise pour nous rappeler l’évidence.
Bonne rentrée à toutes et à tous.