Avec la rubrique « Latitudes », 90° change d’échelle pour décrypter le droit à l’international. Pour cet épisode, notre GPS indique 1° 17′ 00″ nord, 103° 51′ 00″ est : direction Singapour.

Singapour, décembre 2020. La petite cité-État marque l’histoire alimentaire mondiale en devenant le premier pays à autoriser la commercialisation de viande issue de cellules animales cultivées en laboratoire. À l’autre bout du globe, depuis 1997, l’Union européenne (UE) trace une voie juridique singulière pour intégrer les novel foods, ces aliments innovants encore peu familiers au consommateur européen. Deux approches, un objectif commun : nourrir durablement la planète.

A Singapour, l’innovation alimentaire dans l’assiette

En autorisant la start-up américaine Eat Just à commercialiser ses nuggets de poulet cultivés, Singapour devient le symbole d’une innovation alimentaire rapide et pragmatique.

Le choix stratégique du gouvernement, soucieux d’assurer une plus grande autonomie alimentaire à cette ville-État dépendante à 90 % des importations, a permis l’émergence accélérée d’un cadre réglementaire clair.

Avec la Singapore Food Agency (SFA), la sécurité sanitaire, la traçabilité et la composition nutritionnelle des aliments issus de culture cellulaire sont minutieusement vérifiées. Singapour s’est en effet fixé un cap ambitieux : produire localement 30 % de ses besoins alimentaires d’ici 2030.

Cette ambition dépasse en réalité l’échelle locale. La viande cultivée en laboratoire ne se résume pas à un bioréacteur et à un amas de cellules en multiplication : elle pourrait devenir un pivot environnemental, avec une réduction de 93 % des émissions de gaz à effet de serre et de 95 % des terres nécessaires à la production.

Novel Food sauce européenne

À Bruxelles, siège de la Commission européenne, la réflexion réglementaire a débuté plus tôt. Dès 1997, l’UE se dote d’un cadre pionnier – le règlement (CE) n° 258/97 – pour encadrer la commercialisation des novel foods. Objectif : garantir la sécurité alimentaire tout en accompagnant l’innovation. Aliments à base d’insectes, de microalgues ou issus de procédés technologiques novateurs doivent passer par une évaluation stricte menée par l’Autorité européenne de sécurité des aliments (EFSA).

En 2018, le règlement (UE) 2015/2283 vient renforcer ce cadre initial, élargissant la définition aux aliments issus des nanotechnologies et fixant des délais d’autorisation raccourcis. Cette approche précautionneuse est assumée : si elle garantit une sécurité optimale et une confiance renforcée du consommateur, elle limite toutefois la réactivité européenne face à une innovation rapide — notamment concernant la viande cultivée, toujours en cours d’examen dans l’UE.

Le droit au cœur des enjeux alimentaires de demain

Entre Singapour et l’Union européenne, assisterait-on à l’émergence des artisans d’un nouveau modèle alimentaire durable ? Les prochaines années seront déterminantes. Viande cultivée, insectes comestibles, protéines végétales issues de fermentation microbienne : autant de pistes explorées, qui requièrent à la fois audace technologique et régulation rigoureuse.

 

  • publié le 16 juin 2025