«L’humeur de» vous propose de découvrir la réflexion d’un(e) associé(e) d’UGGC Avocats sur des sujets liés à son expertise. Dans cette nouvelle édition, Jean-Jacques Uettwiller s’inquiète des travers de l’immixtion de l’opinion publique, façonnée par les médias, dans le bon déroulement des procédures judiciaires.
Il existe une tendance sociétale lourde qui consiste à remplacer le juge par l’opinion publique et à traduire toute personnalité devant le tribunal du peuple (anonymisé par les réseaux sociaux) dès lors qu’une affaire concernant cette personnalité fait les choux gras de la presse.
Le Professeur François Terré a écrit : « il est trop heureux que la nécessité où est le juge de s’instruire, de faire des recherches, d’approfondir les questions qui s’offrent à lui, ne lui permette jamais d’oublier que s’il est des choses qui sont arbitraires à sa raison, il n’en est point qui soient purement à son caprice ou à sa volonté *».
Et il est vrai que toute affaire concernant une personnalité connue est d’abord jugée par la presse et les réseaux sociaux, avant que le juge ait pu rendre sa décision, laquelle passe inaperçue lorsqu’elle est connue, puisque l’opinion n’a en tête que le réquisitoire et que c’est principalement celui-ci qui sera médiatisé, créant ainsi une véritable « présomption de culpabilité ». Certes, le temps qui s’écoule entre la mise en examen et le jugement est long, mais il faut instruire. Que la décision ne plaise pas et, alors, ce qu’il est convenu d’appeler l’opinion publique, terme bien dévoyé puisque ce n’est que l’expression de quelques-uns, va s’agiter et réclamer que le législateur change la loi. Faut-il rappeler cette citation du même auteur : « Il y a une grande corruption de la République lorsque les lois qu’elles se donne ne sont plus que la suite incohérente de la colère des victimes, des préjugés ou des ignorances des journalistes **». De même, Polybe écrivait vers 150 BC, que : « toutes les constitutions, de par leur nature sont minées chacune par un mal congénital dont elles ne peuvent se défaire. Pour la royauté, c’est la tendance au despotisme, pour l’aristocratie, la tendance à l’oligarchie et pour la démocratie la tendance à recourir aux voies de fait et à la force brutale*** ». Et notre régime politique est une démocratie.
On verra ainsi telle personnalité traînée dans la boue par l’opinion publique, puis être relaxée par le juge (le vrai, celui auquel la Constitution a confié cette mission). C’est alors le juge qui va être critiqué et voir les médias demander son départ ou sa suppression, voire une adaptation de la loi. Où donc est passé l’Etat de droit ? Il ne s’agit pas ici de prendre parti mais juste de souligner des incohérences.
Est-il besoin de rappeler, comme nous le soulignions plus haut, que le juge ne peut et ne doit pas être influencé par la presse et les réseaux sociaux et que sa décision n’a et ne doit avoir comme seule contrainte que l’application de la loi ?
Encore faut-il que ce soit la volonté du juge. Après la relaxe d’un homme politique, le journal La Tribune mentionnait, dans un article du 5 février 2024 sur son site internet : « En toile de fond s’imprime l’image d’une justice qui poursuit les politiques pendant des années non sans légèreté et d’un « gouvernement des juges » prompt à accuser, moins à faire son autocritique ».
De grâce revenons à la raison. Il faut arrêter de rendre publiques toutes les mises en examen et ne plus attacher d’importance qu’aux décisions judiciaires nécessairement rendues dans la nécessité et sous le contrôle in fine de la Cour de cassation.
- *In « Dialogue des siècles ». Adaptation par François Terré, aux Editions LexisNexis, p.28.
- ** In « Dialogue des siècles ». Adaptation par François Terré, aux Editions LexisNexis, p.11.
- *** Polybe (Histoire Livre VI, chapitre II §10)