Comme la société, le droit évolue : avec Pépite d’archives, retour vers le passé pour mieux éclairer notre présent. Pour cette nouvelle édition, direction le Musée d’Orsay et son exceptionnelle exposition autour de Van Gogh.
A l’approche de la fermeture de l’exposition Van Gogh au Musée d’Orsay, dont UGGC Avocats est mécène, retour sur l’histoire judiciaire rocambolesque du Jardin à Auvers – que 90° avait (brièvement) évoqué dans un précédent article.
Le Jardin à Auvers fait partie de ces œuvres judiciaires célèbres. Et pour cause. Avant qu’une action en nullité de la vente pour doutes sur l’authenticité de celle-ci ne soit portée devant les juridictions civiles, c’est son statut administratif qui avait opposé son propriétaire à l’administration française pendant plus de dix ans.
Tout commence dans les années 80 quand son propriétaire d’alors, Jacques Walter, fils d’un célèbre architecte américain, demande un certificat d’exportation pour son tableau auprès du ministère de la culture. Il vient alors de déménager à Genève et souhaite pouvoir jouir de son tableau. Valeur estimée de l’œuvre : 6 millions de francs.
Le certificat lui est refusé. S’ouvre alors la période – qui était de trois ans à l’époque – qui permet à l’administration de tenter de lever les fonds nécessaires à l’acquisition du tableau. À l’expiration de ce délai, aucune offre d’acquisition n’est formulée. Pour pallier la sortie inéluctable du tableau, l’Etat français prend alors, à la hâte, la décision de le classer d’office au titre des monuments historiques.
Servitude d’utilité publique, le classement au titre des monuments historiques est une mesure de protection qui peut s’appliquer au patrimoine mobilier présentant un intérêt public. Il emporte un certain nombre d’effets, parmi lesquels l’interdiction d’exportation définitive des objets mobiliers classés.
Alors que le classement est habituellement volontaire et présente de nombreux avantages pour le propriétaire du bien classé (notamment par la participation de l’Etat à son entretien), il peut également être prononcé d’office, mais ouvre dans ce cas un droit à indemnisation pour le propriétaire. Dans l’affaire du Jardin à Auvers, l’administration avait quelque peu dévoyé l’objet de cette mesure pour privilégier son effet : empêcher la sortie de l’œuvre du territoire français.
En réaction, le propriétaire a introduit un recours pour excès de pouvoir tant de l’instance que de l’ordonnance de classement. Il a été débouté, le Conseil d’état retenant au passage que la toile présentait « un intérêt public au point de vue de l’histoire de l’art ».
Après que le tableau a été vendu en France pour un prix très en-deçà du montant espéré, le propriétaire avait alors saisi le juge civil d’une demande d’indemnisation du préjudice qu’il estimait avoir subi, consécutivement à la procédure de classement d’office. Selon le propriétaire, la procédure de classement avait déprécié la valeur de l’œuvre en lui fermant les portes du marché international.
Les juridictions civiles lui ont donné gain de cause et considéré que l’évaluation du préjudice devait s’opérer en comparant le prix de vente du tableau en France avec ceux d’œuvres comparables vendues à l’époque du classement sur le marché international de l’art.
C’est ainsi que l’Etat français s’est vu condamné à indemniser le propriétaire à hauteur de 145 millions de francs (environ 33 millions d’euros). Comble : en contrepartie du versement de cette somme, l’Etat ne s’est pourtant pas trouvé propriétaire de l’œuvre, la mesure de classement n’emportant aucun transfert de propriété à son profit.
Une certitude toutefois : sauf procédure de déclassement, le Jardin à Auvers ne pourra définitivement quitter le territoire français. Pour l’heure, elle est toujours visible sur les cimaises du Musée d’Orsay, jusqu’au 4 février 2024.