Le terme anxiété se définit comme suit dans le dictionnaire : “Inquiétude pénible, tension nerveuse, causée par l’incertitude, l’attente – Trouble émotionnel se traduisant par un sentiment indéfinissable d’insécurité.”
Cette Figure de douleur peint par Vuillard à la fin du XIXe siècle traduit assez bien cette indéfinissable insécurité. La modèle, abattue, semble porter le poids de quelque malédiction. Meurtrie dans son corps, dans sa chair, dans son être. Quel que soit le récit associé à cette femme, elle cherche à se protéger des regards malgré la mise en lumière. Quel contraste entre les couleurs chaudes et cette silhouette qui se dérobe, telle une victime contrainte d’exposer sa peine au grand jour pour en obtenir réparation.
Une récente affaire médicale liée au Diéthylstilbestrol (oct. 2023) offre l’occasion de revenir sur le préjudice d’anxiété. Ce préjudice moral – reconnu par le droit civil français depuis 2006 – est défini comme une situation d’inquiétude permanente face au risque de déclaration à tout moment d’une maladie ayant pour conséquence d’affecter la santé mentale. Les caractéristiques particulières de ce préjudice induisent des fondements de preuve aux contours un peu flous, qui pourraient bien poser question à l’avenir.
Le doute scientifique face à l’exigence de la certitude juridique.
Le préjudice d’anxiété, caractérisé par la crainte liée à la connaissance du risque auquel on est exposé, est admis de longue date. A ainsi été reconnu à l’origine de ce préjudice le port d’une sonde cardiaque exposant au risque de rupture du fil de rétention (cass. 1ère civ. 19 décembre 2006 n°05-15.721). Autre exemple : l’exposition aux poussières d’amiante de nature à générer des maladies et amenant des examens médicaux réguliers, et qui vont potentiellement réactiver l’inquiétude (Cass. soc. 11 mai 2010 n°09-42.241 à 09-12.257).
Dans les deux cas, les victimes souhaitent réparation, accompagnement, reconnaissance de leur souffrance. C’est là leur besoin immédiat. Et c’est bien la reconnaissance du préjudice qui va permettre de le surmonter, mais également de le réparer.
Le préjudice d’anxiété est aujourd’hui un préjudice spécifique autonome reconnu, qu’il existe ou non des atteintes corporelles parallèlement indemnisées ou un lien causal incertain entre l’exposition et le dommage (cass. 1ère civ. 19 juin 2009 n°18-10.612 et n° 18-10.380).
Mais obtenir reconnaissance et indemnisation impose – dans le respect de nos règles de droit – de justifier que les actes reprochés sont à l’origine directe et certaine du préjudice subi. Cette preuve est difficile en particulier si on parle de la matière médicale où la problématique de causalité est au cœur des dossiers et où le doute scientifique est en opposition avec l’exigence de la certitude juridique.
Quelle preuve apporter quand on est « figure de douleur » ? Que cette douleur soit physique ou morale caractérisée par une anxiété face à un avenir incertain ? Les juges peuvent décider d’atténuer la charge de la preuve pour ne retenir que des présomptions à condition qu’elles soient graves, précises et concordantes.
Diéthylstilbestrol, un récent cas d’école.
Une affaire replace le préjudice d’anxiété au cœur des débats. En cause : l’usage du Diéthylstilbestrol (DES), hormone oestrogénique de synthèse permettant de prévenir les avortements à répétition, les accouchements prématurés et de traiter certaines stérilités. Cette hormone est accusée d’être à l’origine de cancers du col de l’utérus et de malformations génitales de nature à provoquer la stérilité des filles et des femmes traitées.
Une jeune femme exposée in utero au DES suite à la prise de ce médicament par sa mère au cours de la grossesse est aujourd’hui confrontée à une hypofertilité. La cour d’appel avait retenu que la cause de l’infertilité pouvait tout aussi vraisemblablement être rattachée à une autre cause que l’exposition au DES et qu’en conséquence la preuve n’était pas rapportée d’un lien de causalité. Mais son arrêt est cassé par la cour de cassation (Cass.civ. 1ère 18 octobre 2023 n°22-11.492) qui a fait un double apport.
En premier lieu, elle considère qu’ouvre droit à réparation le dommage en lien causal avec une faute, même si celle-ci n’en est pas la seule cause. Le fait que l’infertilité d’une patiente puisse être due autant à une infection qu’à l’exposition à un médicament est ainsi insuffisant à exclure que l’exposition au médicament ait contribué à l’infertilité. Le facteur possiblement contributif pourrait-il suffire à caractériser la causalité ?
Elle retient aussi en second lieu que constitue un préjudice indemnisable l’anxiété résultant d’une exposition à un risque de dommage – et non un dommage avéré – qui est ici celui de développer des pathologies cancéreuses identifiées obligeant à un suivi gynécologique rigoureux.
La boîte de Pandore, grande ouverte ?
C’est bien la reconnaissance du préjudice d’anxiété qui va permettre de le surmonter et peut-être, d’estomper la Figure de douleur.
Pourtant certains diront que la boîte de Pandore est grande ouverte. L’anxiété n’est-elle pas l’un des maux des décennies à venir ? Au-delà des craintes touchant à la santé, une éco-anxiété avec la peur chronique d’un environnement condamné pourrait se poser avec acuité. Charge pour le droit de faire la part des choses.