Ce cinquième numéro de Zone grise ausculte un sujet où science et droit s’entrechoquent : la brevetabilité des végétaux issus des nouvelles techniques génomiques (NGT). Un champ d’expérimentation autant que de crispation.
Une photo, un flou juridique.

Zone blanche, ce que dit la loi.

Un principe clair : les végétaux ne se brevète pas. Depuis la Convention sur le brevet européen de 1973, les procédés essentiellement biologiques d’obtention de végétaux ne peuvent faire l’objet d’un monopole privé. Mais ce principe s’est vu flanqué d’exceptions, précisions, revirements.

À partir de 2010, les décisions Tomate I et Brocoli I ont exclu la protection des procédés de croisement classiques. Cinq ans plus tard, les décisions Tomate II et Brocoli II affinent la ligne : seuls les procédés sont exclus, pas nécessairement les produits obtenus. Une brèche s’est ouverte.

En 2017, l’Office européen des brevets (OEB) tente de refermer la porte : sa nouvelle règle 28 exclut aussi les végétaux issus de procédés essentiellement biologiques. Et en 2019, la décision Pepper (G3/19) vient confirmer ce recentrage.

Mais quid des NGT, ces techniques de mutagénèse ciblée (type CRISPR) ou d’insertion génique sans croisement sexué ? Dans ce flou réglementaire, ces plantes “éditées” échappent à l’exclusion : elles ne sont pas essentiellement biologiques. Elles sont donc, en principe, brevetables.

Zone d’ombre, ce qui se cache.

L’enjeu dépasse la pure logique juridique. Il touche au vivant, à l’innovation, à la souveraineté alimentaire. Qui détiendra demain les clés génétiques de notre agriculture ?

Du côté des start-ups biotech et des grands semenciers, on plaide pour une reconnaissance pleine des brevets : sans incitation à la R&D, pas d’innovation. Pour les petites entreprises, les agriculteurs ou les ONG, c’est un autre son de cloche : la concentration des droits de propriété risque d’étouffer la diversité, d’alourdir les coûts et d’entraver l’accès aux semences.

Le projet de règlement présenté en 2023 tente d’y répondre. Il distingue deux types de NGT :
– les NGT1, pouvant être obtenues naturellement ou par des méthodes traditionnelles, seraient exclues de la brevetabilité.
– les NGT2, plus transformées, seraient traitées comme des OGM – avec les obligations qui en découlent.

En mars 2025, un texte de compromis a émergé au Conseil de l’Union européenne : les NGT1 pourraient finalement être brevetables, à condition de publier toutes les informations sur les titres existants. Une base de données publique est prévue. La porte reste donc entrouverte.

Zone grise, aide à la navigation.

Le débat entre protection et partage, innovation et souveraineté, science et éthique, est loin d’être tranché. Le trilogue – ce dialogue entre Parlement, Conseil et Commission – va débuter avec pour objectif d’aboutir à un accord sur les points de tension que sont la brevetabilité, la traçabilité et l’accès équitable aux semences.

Prochaine étape : une étude d’impact est prévue un an après l’entrée en vigueur de la réglementation. Elle devra mesurer les effets concrets des brevets sur l’innovation, la concurrence et l’accès des agriculteurs aux ressources génétiques. Si les institutions européennes parviennent à un compromis satisfaisant, les premières variétés NGT pourraient être commercialisées dès 2029.

D’ici là, reste à inscrire dans le droit ce que la nature, elle, ne distingue pas forcément…

  • publié le 26 juin 2025

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