Articles, événements, vidéos, créateurs en ligne… Dans “L’avez-vous- lu/vu”, UGGC Avocats partage ses coups de cœur (ou pépites à ne pas rater).
Un an avant sa mort, le cinéaste David Lynch accordait une interview à Raphaël Costa, journaliste pour le média français «Curiosités juridiques». Il y évoquait notamment l’épineuse question du final cut et par là, celle de la protection de l’autonomie artistique dans les droits américain et français. «[Les Français] sont d’authentiques mordus de cinéma, qui n’est nulle part au monde mieux protégé que par eux. Ils respectent le réalisateur et ses droits, et ils ont foi dans le final cut», déclarait le réalisateur de Twin Peaks, faisant allusion à son étonnant film Dune, sorti en 1984, qui n’a convaincu ni la critique, ni le public. « Quand j’ai réalisé Dune, je n’ai pas eu le final cut. J’ai eu l’impression de m’être vendu, et par-dessus le marché, le film a fait un flop », regrettait-il, amer.
Le final cut désigne en anglais le pouvoir de décision sur la version finale d’un long-métrage. Pour le réalisateur, il est le symbole de son autonomie créative et de son intégrité artistique. Mais il représente aussi pour les producteurs la possibilité de maîtriser les éventuelles fantaisies du réalisateur qui pourraient entraîner des retards de production et des coûts supplémentaires. Qui doit donc avoir le dernier mot ?
Aux États-Unis, c’est plutôt simple : le principe du « work made for hire » (travail à la demande) considère qu’une œuvre réalisée par un salarié dans le cadre de son emploi est présumée appartenir à son employeur. Il confère ainsi la qualité d’auteur, non pas au réalisateur, mais au producteur, considéré juridiquement comme maître de l’œuvre. Le réalisateur y est souvent un prestataire, et son autonomie artistique dépend entièrement des clauses contractuelles. En l’absence de garanties, son pouvoir est nul.
C’est bien différent en droit français, où le final cut est de plein droit partagé entre les co-auteurs (réalisateur, scénariste, compositeur, etc), et le producteur qui achète le droit d’exploitation de l’œuvre pour une durée déterminée et pour des territoires précis. La jurisprudence française considère toute clause contractuelle conférant au producteur un pouvoir de décision exclusif sur le montage définitif comme étant nulle.
Car en plus de son droit patrimonial, le réalisateur possède en France un droit moral, composé de plusieurs prérogatives – inaliénables, imprescriptibles et perpétuelles – lui permettant de protéger son œuvre : le droit à la paternité, celui de divulgation, le droit au respect de l’intégrité de l’œuvre, et celui de retrait ou de repentir.
La position française a d’ailleurs été consolidée à l’échelle européenne. En 2012, la Cour de justice de l’Union européenne, dans l’affaire Luksan, a rejeté le modèle américain. Dès lors, tout contrat de production soumis au droit français ne saurait exclure les prérogatives morales du réalisateur, même face à des intérêts économiques lourds. En bref, ce que Lynch n’a pu imposer à Hollywood, un cinéaste peut le revendiquer à Paris… Ce qui pourrait expliquer en partie son admiration pour l’Hexagone, qui le lui rend bien !