Avec « Œuvre en miroir », 90° décrypte le droit à l’aune d’une œuvre. Focus sur « Constructif avec boussole », une toile signée Joaquin Garcia qui nous plonge au cœur d’un enjeu environnemental européen : la Boussole pour la compétitivité.
En 1932, dans une Europe à la veille d’un basculement historique, Joaquín Torres-García dessine une boussole constructive. Dans cette œuvre géométriquement ordonnée, l’artiste présente une boussole qui n’indique pas seulement le Nord cardinal, mais une pluralité de directions possibles. L’espace s’y agence en compartiments dynamiques, imposant à l’œil un effort de lecture patient : il s’agit de comprendre les tensions, l’équilibre fragile, les interdépendances. Une forme d’appréhension du chaos avec méthode et discernement.
Près d’un siècle plus tard, l’analogie pourrait resurgir… Avec pour toile de fond le pacte vert pour l’Europe -ou Green Deal– décidé en 2019, la Commission européenne dévoilait le 29 janvier 2025 sa « Boussole pour la compétitivité » destinée à orienter l’Union Européenne (UE) vers la voie d’un leadership durable dans l’innovation et la transition énergétique.
Par où commencer ?
Suivre la boussole
Le vice-président exécutif chargé de la prospérité et de la stratégie industrielle à la Commission européenne, Stéphane Séjourné, introduit la boussole de la façon suivante :
« Avec la boussole, la Commission présente sa doctrine économique pour les cinq prochaines années. Cette doctrine est simple et peut être résumée en un mot-clé : compétitivité. […] Cette ambition s’articule autour d’un triple programme de travail : simplifier, investir et accélérer la réalisation de nos priorités économiques. [Elle] doit être le symbole d’un changement d’état d’esprit pour l’Europe et les Européens. »
Pour l’employer correctement, une Feuille de route propose plusieurs axes structurants et prévoit notamment :
- un pacte pour une industrie propre afin d’assurer l’attractivité industrielle européenne et promouvoir les modèles économiques circulaires ;
- un plan énergique d’action pour rendre l’énergie financièrement accessible aux acteurs économiques européens ;
- un cadre législatif accélérant l’octroi de permis pour une transition industrielle rapide et fluide ;
- et enfin, des plans d’action spécifiques pour des secteurs stratégiques à forte intensité énergétique (acier, métaux, chimie).
Nord, Sud, Est, Ouest sont posés. Encore faut-il éprouver la navigation pour savoir si le cap est le bon.
Simplifier pour mieux (green) dealer ?
L’ambition verte européenne aura conduit les entreprises vers plus de responsabilité mais aussi vers des eaux administratives et législatives parfois troubles. Pour faciliter la mise en pratique des instruments européens sans entraver la compétitivité, cap sur la simplification donc !
Le 26 février dernier, la Commission a fait paraître sa proposition omnibus pensée précisément pour réduire les contraintes découlant des différents textes en vigueur.
Cinq textes européens sont visés par cette simplification :
- la directive sur le devoir de vigilance des entreprises en matière de durabilité (CSDDD),
- la directive sur la publication d’informations en matière de durabilité par les entreprises (CSRD),
- le mécanisme d’ajustement carbone aux frontières (MACF),
- le règlement établissant la taxonomie,
- et enfin le Fonds InvestEU.
En pratique, la proposition mise principalement sur la modification des seuils d’application de la CSRD, la simplification des standards de reporting ainsi que la suppression de certains standards de reporting sectoriels de la CSDDD, et la limitation des informations à fournir sur la chaîne de valeur. Il faut ajouter à cela que la directive « Stop the Clock », adoptée le 3 avril 2025 par le Parlement européen, reporte de deux ans l’application de la CSRD aux grandes entreprises et aux PME cotées, et d’un an l’application de la CSDDD pour la 1ere vague d’entreprises concernées.
Si nul ne s’opposera raisonnablement à l’allégement des facéties bureaucratiques afin de renforcer la compétitivité, les interrogations fusent au sujet du risque de voir dénaturés les principes fondateurs du Green Deal.
Comme dans l’œuvre de Torres-García, le débat actuel fait apparaître plusieurs directions, exigeant des choix clairs sous peine de voir la boussole européenne s’affoler, perdant son cap originel.
Economie ou environnement : quel cap choisir ?
Simplification mais pas dénaturation. Car derrière cette boussole, se dessine un subtil jeu d’équilibriste, entre durabilité environnementale et compétitivité économique. Avec la proposition omnibus, certains acteurs pointent le risque de la remise en cause de principes essentiels du Green Deal européen : durabilité et responsabilité pour les entreprises.
Plusieurs organisations de la société civile, telles que Friends of the Earth Europe, ont exprimé leurs inquiétudes face aux mesures de simplification proposées. Elles redoutent une régression des protections environnementales et climatiques, qualifiant la dérégulation de “chemin dangereux”. Constat partagé par des investisseurs tels qu’Eurosif, le Groupe des investisseurs institutionnels sur le changement climatique (IIGCC) et les Principes pour l’investissement responsable (PRI) représentant plus de six milliards d’euros d’actifs.
Christian Schaible, responsable au sein du Bureau européen de l’environnement (BEE), rappelle :
« L’Union européenne est bien plus qu’un simple marché. La Boussole de la compétitivité doit indiquer une direction claire : une prospérité durable pour tous. Actuellement, la stratégie omet des indicateurs essentiels pour s’assurer que l’UE serve l’ensemble de la société et réponde aux crises sociales et environnementales actuelles. Il n’y a pas de compétitivité possible sur une planète morte. »
À l’heure où l’économie européenne évolue dans un contexte géopolitique complexe, les institutions européennes doivent donc arbitrer pour rester à flot au prix d’un potentiel recul écologique et social…