Dans le flux tendu de l’actualité, il est fréquent de voir des imprécisions ou idées reçues. Grâce au recul et à l’expertise de ses contributeurs, la rubrique “Dans les faits” permet d’y voir plus clair. 
Aujourd’hui, Cyrille Mayoux lève le secret de la protection des échanges entre un client et son avocat et sa différence de traitement à échelle française et européenne…

Le principe paraît absolu tel qu’il est énoncé par la loi :

« En toutes matières, que ce soit dans le domaine du conseil ou dans celui de la défense, les consultations adressées par un avocat à son client ou destinées à celui-ci, les correspondances échangées entre le client et son avocat, entre l’avocat et ses confrères à l’exception pour ces dernières de celles portant la mention « officielle », les notes d’entretien et, plus généralement, toutes les pièces du dossier sont couvertes par le secret professionnel ».

Le secret est effectivement général, absolu et illimité dans le temps pour l’avocat, qui ne peut en principe en être relevé ni par son client, ni par quelque autorité que ce soit.

C’est la moindre des choses : l’avocat, dépositaire des secrets de son client, est tenu de ne jamais les révéler à quiconque.

Le principe est beaucoup plus relatif lorsque le secret professionnel de l’avocat est percuté par la puissance de l’enquête pénale.

Quand l’enquête prime, le secret déprime

Le secret ne tient plus que dans une seule hypothèse : le travail de l’avocat doit être lié, directement ou indirectement à l’exercice des droits de la défense. Autrement dit, seuls  (1) l’activité de défense dans le cadre d’une procédure juridictionnelle ou ayant pour objet le prononcé d’une sanction et (2) le conseil en lien avec de telles procédures résistent aux ingérences de la puissance publique (réquisitions, perquisitions et saisies de pièces).

En dehors de ce cas, le secret des échanges entre un avocat et son client cède devant les pouvoirs attribués aux enquêteurs par le droit positif français, aux procureurs et aux juges d’instruction : l’activité de conseil « pur » n’est plus jamais protégée par le secret.

La jurisprudence de la Chambre criminelle de la Cour de cassation est à ce jour constante : elle autorise les saisies de correspondances, opinions juridiques, échanges écrits de toutes sortes entre l’avocat et son client dès lors qu’aucune procédure juridictionnelle ou ayant pour objet le prononcé d’une sanction ne peut être liée à ces conseils.

La conséquence en est aussi simple que mortifère pour le secret dont l’avocat conseil est dépositaire : il n’est plus garanti par la procédure pénale française, contrairement à ce qu’affirme pourtant le Code de procédure pénale (article préliminaire , dernier alinéa).

Le conseil donné par l’avocat à son client, dans le cadre confidentiel qui s’attache à sa mission, est donc accessible sans limite à l’autorité de poursuite pénale. 

Cette position de la Cour de cassation est d’autant plus injuste pour les avocats conseils et leurs clients qu’elle se heurte à la position de deux instances européennes : la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) et la Cour de justice de l’union européenne (CJUE).

Les Cours européennes entrent dans la confi-danse

La CEDH protège la confidentialité des échanges avocat/client au titre de son article 8 et du secret des correspondances, quelle que soit la finalité des échanges entre l’avocat et son client. Cette protection est même renforcée par rapport au secret protégeant habituellement les correspondances.

Pour les juges européens, cette protection renforcée demeure de principe y compris lorsque les communications entre l’avocat et son client portent sur des questions qui n’ont que peu ou pas de rapport avec un litige.

Conseil et défense sont donc indissociables dans la protection du secret qui s’attache à la relation entre un avocat et son client.

Le 26 septembre 2024, la CJUE a réaffirmé la force de ces mêmes principes au visa de l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme mais également de l’article 7 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne. Cette dernière rassemble à ce titre « l’activité de défense » et la « consultation juridique » dans la protection renforcée dont bénéficie la relation singulière avocat/client.

Surtout, les deux Cours européennes ont pris la peine d’expliquer les raisons qui conduisent à protéger ce secret particulier, y compris contre les pouvoirs coercitifs de l’Etat.

Ainsi, la CEDH estime que :

« les avocats se voient confier une mission fondamentale dans une société démocratique : la défense des justiciables. Or un avocat ne peut mener à bien cette mission fondamentale s’il n’est pas à même de garantir à ceux dont il assure la défense que leurs échanges demeureront confidentiels. C’est la relation de confiance entre eux, indispensable à l’accomplissement de cette mission, qui est en jeu. ».

La CJUE ne dit pas autre chose dans sa décision du 26 septembre 2024 :

« Cette mission fondamentale comporte, d’une part, l’exigence, […] que tout justiciable doit avoir la possibilité de s’adresser en toute liberté à son avocat, dont la profession même englobe, par essence, la tâche de donner, de façon indépendante, des avis juridiques à tous ceux qui en ont besoin et, d’autre part, celle, corrélative, de loyauté de l’avocat envers son client ».

Avocat français cherche juge avisé

La Cour de cassation refuse pourtant toute protection au secret du conseil. Ce faisant, elle instaure une ingérence permanente dans le secret des correspondances avocat/client protégé par l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme.

Position contradictoire s’il en est :  cette même Cour de cassation a décidé, au travers de plusieurs arrêts rendus par l’assemblée plénière -sa plus haute formation- que les Etats adhérents à la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales étaient tenus de respecter les décisions de la CEDH, sans attendre d’être attaqués devant elle ni d’avoir modifié leur législation.

Elle ne le fait manifestement pas s’agissant du secret professionnel de l’avocat exerçant sa mission de conseil.

Le phénomène semble ancré dans la jurisprudence actuelle de la Cour de cassation puisque qu’elle a récemment confirmé qu’une consultation d’avocat et la convention d’honoraires ayant fondé ce travail étaient saisissables par l’autorité judiciaire.

En l’état actuel du droit positif français, les échanges entre un avocat et son client sont donc toujours et entièrement accessibles aux Parquets, aux juges d’instruction et aux juridictions de jugement, dès lors que le conseil est sollicité avant toute commission d’infraction ou auprès de personnes exerçant des missions de conseil juridique.

A ce jour, en France, le travail de l’avocat conseil, quel qu’en soit le support (consultation, email, SMS, messageries internet…), peut donc être utilisé contre son client lorsque ce dernier est l’objet d’une procédure pénale.

Conclusion : le travail de l’avocat, fait en amont de toute procédure, est donc susceptible d’être utilisé pour incriminer son client. 

Comment, dès lors, préserver le lien de confiance qui doit unir l’avocat et son client ?

Doit-on s’y résoudre ?

Evidemment non. Car le combat judiciaire pour la préservation de la confiance et du secret n’est pas perdu. Il peut encore être gagné à Strasbourg ou à Luxembourg. 

Il faut se rappeler que la présence de l’avocat aux côtés de son client en garde à vue et le droit au silence de ce dernier ont été introduits en France grâce à la CEDH, alors que le droit interne ne les reconnaissait pas. Affaire à suivre donc !

  • publié le 31 mars 2025