« L’humeur de » vous propose de découvrir la réflexion d’un(e) associé(e) UGGC Avocats.
Dans cette nouvelle édition, 90° l’angle du droit est venu interroger Anne-Marie Pecoraro à l’occasion de sa présence au MIDEM 2025, festival international dédié à l’industrie musicale et au spectacle vivant. Statut du producteur de spectacle, tendances du secteur, enjeux des nouvelles technologies, c’est par ici !
Le MIDEM et vous ?
Le MIDEM est une longue tradition cannoise dont je n’ai manqué aucune édition. Après quelques années d’absence, il a été relancé en 2025 par Live Nation, le spécialiste du spectacle vivant qui parie de refaire du MIDEM un très haut lieu de concerts ! En compagnie de mes collègues étrangers, les talentueux avocats de l’IAEL (International Association of Entertainment Lawyers), j’ai été conviée pour intervenir comme tous les ans dans le cadre des panels du MIDEM, afin de présenter notre analyse comparative des législations relatives aux droits et statuts des producteurs de spectacle. Et notre présentation a fait salle comble.
Qu’en est-il du statut de producteur de spectacle vivant ?
La situation en France est ambivalente.
Les spectacles vivants occupent une place importante dans la vie culturelle des Français : selon le « Baromètre du public du spectacle vivant » publié par Ekhoscènes en 2024, un peu plus de la moitié des Français interrogés indiquent se rendre dans une salle au moins une fois par an pour voir une comédie musicale, un spectacle humoristique ou un concert.
Dans cet univers, il est une profession centrale à la réalisation d’un spectacle : le producteur. Ce dernier conçoit avec les talents, gère les dates, la tournée dans les différentes salles et festivals ainsi que la communication, il est surtout responsable du financement. Seul ou en commun avec d’autres acteurs, il endosse le risque financier en investissant dans le projet. Ainsi, pas de producteur, pas de spectacle.
Pourtant, il n’existe pas de cadre juridique protecteur des producteurs de spectacle vivant. Dans le Code de la propriété intellectuelle français, aucune mention de droit d’auteur ni de droit voisin spécifiques, quand d’autres pays comme l’Italie prévoient des moyens de protection.
Cette absence de protection juridique spécifique est un problème lorsque les spectacles font l’objet d’une captation, ce qui est phénomène en développement, tant pour des enregistrements que pour des diffusions en streaming, autorisés ou non autorisés.
Raison pour laquelle il existe des organisations professionnelles comme Ekhoscènes, plaidant inlassablement pour la reconnaissance d’un droit de propriété intellectuelle des producteurs de spectacles. Leur but ? Protéger les investissements des producteurs et mieux maîtriser l’exploitation des spectacles, notamment en cas de captation. Bien qu’une très bonne négociation des contrats offre aussi des moyens concrets pour octroyer au producteur une meilleure protection.
En 2025, quelles tendances pour l’industrie musicale et le spectacle vivant ?
L’industrie musicale, comme les autres domaines artistiques regroupés dans le spectacle vivant, connaît une belle croissance. D’après, l’International Federation of the Phonographic Industry (IFPI), le chiffre d’affaires du marché mondial de la musique a atteint en 2023 près de 28,6 milliards de dollars, soit une croissance de 10,2%.
L’IFPI souligne également la place, non négligeable, prise par les acteurs du streaming. En 2023, les deux tiers du chiffre d’affaires mondial de l’industrie ont été générés par le streaming et la moitié par le seul streaming sur abonnement.
A ce titre, le streaming a joué un rôle crucial dans la résurrection du marché mondial de la musique, secteur sinistré au début des années 2010. Tant et si bien qu’il s’est imposé progressivement dans les régions « historiques » du marché du disque à l’instar des Etats-Unis, de l’Europe et de l’Australie, avant de se généraliser à l’international. Dans ce nouvel environnement, les services de streaming payants gèrent la relation client et organisent la génération des revenus.
Cela va sans dire, les progrès des IA génératives ne manqueront pas d’interférer sur l’évolution de l’industrie et ses modes de production. En bref, l’IA est un acteur supplémentaire à prendre en compte dans une industrie en mouvement… J’ai co-édité et co-écrit avec mes collègues ce livre très complet à ce sujet : « The AI revolution : the international legal perspective ».
Face aux évolutions technologiques, quelles réponses le droit peut-il apporter ?
D’une manière générale, le droit peut apporter une réponse en élaborant des normes appropriées qui prennent en compte ces nouveaux phénomènes.
Le droit de la propriété intellectuelle, depuis toujours, est de facto confronté aux avancées technologiques. Il existe d’ailleurs des enjeux communs à toutes les industries créatives, comme la mondialisation, l’effectivité des réglementations européennes comme l’IA Act, la protection des ayants droits et collaborateurs, ainsi que celle des citoyens, les financements et la répartition des revenus, etc
Pour le spectacle vivant et ses producteurs, le numérique contribue à une mutation régulière et structurelle de celui-ci. Ce qui apporte son lot de défis juridiques : quid des captations faites par les smartphones ? De leur diffusion sur des plateformes en ligne? Du développement de sites de billetterie illicites ?
La solution contractuelle a été évoquée. A ce sujet, l’Inspection générale des affaires culturelles (IGAC) a évoqué des pistes. La première, plus ambitieuse, est l’instauration d’un véritable droit au profit des producteurs de spectacle. La seconde consisterait à insérer une disposition selon laquelle toute captation de spectacle par un producteur audiovisuel devrait donner lieu à la conclusion d’un contrat avec le producteur de spectacle, avec certaines protections..
Face aux géants mondiaux, il faut compter sur la réglementation européenne pour l’élaboration d’un meilleur cadre. Cette nouvelle transition numérique nécessitera in fine un accompagnement des pouvoirs publics, en particulier pour les nombreuses PME du secteur.