Avec « Œuvre en miroir », 90° plonge dans le monde de l’art et décrypte le droit à l’aune d’une œuvre . Focus sur « L’atelier rouge», une toile signée Henri Matisse (1911).
L’atelier rouge, peint en 1911 par Henri Matisse, porte bien son nom. L’artiste se terre dans son atelier, le processus créatif peut débuter. Il y a des esquisses entamées, des fusains rongés, des cadres orphelins et un verre vide dont on imagine le contenu pourpre se déverser sur la toile. On perd presque le fil de l’histoire, comme une alerte : sur quoi poser notre attention, par où commencer ? Dans le contrat de commande d’une œuvre d’art, la question se pose également. Et, comme en peinture, le cadre compte.
Lire entre les lignes (de fuite)
Derrière le travail créatif il y a l’artiste, bien entendu, mais parfois aussi une personne privée ou publique. Le contrat de commande entre en jeu. Il est une forme de contrat d’entreprise dans lequel un auteur s’engage à réaliser une œuvre pour le compte d’une autre partie (le producteur, l’éditeur, ou autre commanditaire) en échange d’une rémunération, tout en conservant son autonomie dans l’exécution du travail. Transposé au secteur de la création artistique, ce contrat consiste pour un commanditaire à demander à un auteur (le commandité) de produire une œuvre spécifique : littéraire, dramatique, musicale, plastique… Bien souvent, il s’agit d’un contrat de vente dans lequel le commanditaire devient propriétaire dès lors que l’œuvre est créée.
La commande d’une œuvre pour un projet spécifique peut représenter une opération lourde, en particulier pour un commanditaire qui, bien souvent, n’est pas issu du monde de l’art et va donc se retrouver confronté à des problématiques qu’il ne maîtrise pas. Ce flou artistique et contractuel peut s’entretenir à deux niveaux. Le premier est la méconnaissance du processus administratif de sélection de l’artiste et du respect de la réglementation qui peut trouver à s’appliquer, en particulier pour les commanditaires publics. Le second se situe au stade du suivi de l’exécution de la commande, et donc souvent du chantier, d’autant plus pour la commande d’œuvres monumentales ou architecturales. Sans réelle connaissance des enjeux du marché de l’art, le risque d’un contrat inadapté et d’une toile inachevée pointe.
Un cadre contractuel qui compte
Comment passer le stade de l’esquisse ? Il faut être particulièrement attentif à la rédaction du contrat de commande qui va définir les points fondamentaux des relations entre les différentes parties prenantes, notamment les responsabilités de chacun, la prévention des assurances nécessaires et l’encadrement du déroulé du chantier. Ce contrat doit aussi définir l’usage que le commanditaire va pouvoir faire de l’œuvre de commande, dans le respect des droits d’auteur de l’artiste.
Ce sont donc des contrats qui peuvent être assez lourds et dont il ne faut pas minimiser la portée. En guise de bonne pratique adressée aux commanditaires, notons la prévision d’une ligne de budget pour contractualiser les relations entre les différents intervenants au contrat de commande et assurer la fluidité du projet. Côté auteur, une attention particulière doit être portée sur les points suivants : la description claire de l’œuvre commandée, les délais de réalisation et le calendrier, la rémunération et les modalités de paiement.
Clarifiés, ces points bénéficient tant au commanditaire qu’au commandité.
Toujours s’arrêter sur le cartel
Puisqu’une œuvre c’est aussi une signature, l’artiste doit veiller à la protection de ses droits d’auteur. Dans ses aspects patrimoniaux, l’artiste doit ainsi bien définir l’étendue des droits cédés au commanditaire et l’usage que ce dernier pourra faire de l’œuvre : commercial ou non commercial, à des fins publicitaires, intervention de tiers…
L’artiste doit aussi assurer le respect de son droit moral. Son droit à la paternité pourra être négocié via la présence d’un cartel mentionnant son nom de façon lisible et le titre de l’œuvre. Le respect de son droit à l’intégrité impliquera, quant à lui, de veiller aux obligations du commanditaire en matière d’entretien et de conservation de l’œuvre.
Dans son Atelier rouge, Matisse choisit un fond monochrome vibrant, comme pour laisser toute leur place aux cadres éparpillés, presque flottant dans un espace abstrait. Il s’affranchit du réalisme de l’époque et laisse place à sa liberté créative. En matière de contrat aussi le maître mot est “liberté”, tant sur le contenu que le contenant (article 1102, Code civil). Autant en faire une œuvre en lui-même ?