Dans le flux tendu de l’actualité, il est fréquent de voir des imprécisions ou idées reçues s’imposer dans le récit médiatique. Grâce au recul et à l’expertise de ses contributeurs, la rubrique “Dans les faits” permet d’y voir plus clair. Aujourd’hui, retour sur l’affaire qui a vu la condamnation du chausseur Jonak au profit de la maison Chanel.
Cités dans de nombreuses vidéos « spécial dupe » sur les réseaux sociaux et sur internet, les modèles de chaussures « Dhapou » et « Dhapop » de chez Jonak ont fait parler d’eux à travers la récente et médiatisée affaire opposant ce chausseur à Chanel.
Cette actualité nous offre l’occasion de revenir sur le phénomène de société qu’est le « dupe ».
Bien que l’inspiration de produits ait toujours existé, notamment dans le milieu de la fast fashion, ce phénomène est devenu viral sur les réseaux sociaux. Youtube, Tiktok, Instagram sont aujourd’hui un vivier de vidéos d’influenceurs proposant à leur communauté des « dupes » de produits notoires, tendances et de grandes maisons, souvent très onéreux.
Qu’est-ce qu’un dupe ?
Le terme « dupe » est l’abréviation du terme duplicata, défini comme étant un « second exemplaire d’une pièce ou d’un acte ayant la même validité » et ayant pour synonyme « copie, double ».
La plupart des « dupes », lesquels s’inspirent de produits haut de gamme, sont des produits bon marché, accessibles au grand public. Ils ne reproduisent ni la marque verbale, ni le logo de la maison dont ils s’inspirent, mais reprennent les caractéristiques d’une création vendue par ladite maison. De grandes enseignes profitent ainsi du succès d’un produit pour le proposer à un public qui n’est pas consommateur de luxe. Il s’agit finalement du résultat de l’influence du monde de l’artisanat, du savoir-faire et de la mode sur la société de consommation.
Les dupes ne sont pas forcément des produits de mauvaise qualité, mais systématiquement de qualité inférieure, justifiant un prix plus intéressant et atteignable pour les consommateurs qui suivent la mode de près.
Quels sont les produits dupés ?
Chaque grande maison possède, soit des modèles iconiques – la « Slingback » de la Maison Chanel, les mocassins à mors de la Maison Gucci, le Birkin pour Hermès, ou encore le « Lady Dior » pour Christian Dior- soit de nouveaux modèles tendances ayant un fort succès.
Cependant, les « dupes » ne touchent pas uniquement le milieu de la mode, mais également les secteurs de la décoration, du design, de la parfumerie, et même l’industrie agroalimentaire. À titre d’exemple, il existe de nombreuses vidéos « dupe » présentant des modèles phares comme la table « Tulip » de Knoll, ou bien le canapé « Togo » signé Michel Ducaroy.
Dans l’affaire opposant Jonak à Chanel, il était notamment question de l’imitation du modèle « Slingback », modèle emblématique de la Maison Chanel commercialisé depuis la fin des années 1950. Il est reproché aux souliers litigieux de reprendre les codes identitaires de la Maison Chanel, à savoir, le beige et le noir, mais également les caractéristiques bien spécifiques du soulier comme la bride arrière. Il est également reproché à Jonak l’usage de l’image et de la notoriété de Chanel dans sa communication.
Comment le dupe pourrait-il être qualifié juridiquement ?
Le dupe, contrairement à la contrefaçon, a bonne presse, jouissant d’une connotation plutôt positive auprès du public. En achetant un produit « dupe », le consommateur n’aura pas nécessairement conscience d’acheter l’imitation d’une création d’une grande maison, mais simplement un produit d’inspiration.
Peut-on considérer que le dupe est une simple inspiration, ou s’agit-il d’une contrefaçon, imitation ou reproduction à l’identique ?
Le terme dupe n’a aucune valeur juridique. Il faut donc s’intéresser à chaque produit au cas par cas, et au comportement de l’acteur économique.
Plus généralement, le dupe est une inspiration d’une création préexistante, et non une reproduction du modèle à l’identique. Souvent à la frontière de la contrefaçon, il permet à l’entreprise concernée de profiter de la notoriété d’une création et de sa marque pour proposer un produit s’inscrivant dans un modèle d’inspiration, au cœur de la tendance, mais dont il n’est pas à l’initiative en termes d’investissements et de recherches.
Le dupe est-il une contrefaçon ?
Le dupe peut être qualifié de contrefaçon si la forme du modèle et ses caractéristiques (forme, couleurs, etc.) sont protégées à titre de marque, de dessins modèles, ou bien si celles-ci répondent aux critères de protection par le droit d’auteur, et si les critères de la contrefaçon sont réunis.
Par exemple, la contrefaçon de marque pourrait être reconnue si le produit litigieux est identique ou similaire, et s’il entraîne un risque de confusion dans l’esprit du public.
Les créations n’étant pas toujours protégées par le droit de la propriété intellectuelle, la contrefaçon n’est pas la seule voie offerte aux maisons pour se prémunir du phénomène de dupe.
La concurrence déloyale et plus précisément, le parasitisme, permet à la société dont le produit est dupé de défendre ses intérêts. Dans notre affaire, la Cour d’appel rappelle que le parasitisme « consiste, pour un opérateur économique, à se placer dans le sillage d’un autre afin de tirer indûment profit de ses efforts, de son savoir-faire, de sa notoriété ou de ses investissements. Il requiert la circonstance qu’à titre lucratif et de façon injustifiée, une personne morale ou physique copie une valeur économique d’autrui, individualisée et procurant un avantage concurrentiel, fruit d’un savoir-faire, d’un travail intellectuel et d’investissements. »
Il est cependant précisé que cette notion, lorsque le produit n’est pas protégé par un droit de propriété intellectuelle, doit être appréciée au regard du principe de liberté du commerce et de l’industrie. En l’espèce, il incombait donc à Chanel de rapporter la preuve et de démontrer que « les éléments constitutifs de ces comportements répréhensibles sont réunis, à savoir l’existence d’une valeur économique individualisée résultant d’un savoir-faire, d’un travail intellectuel, d’une notoriété et d’investissements, l’inspiration ou l’évocation de cette valeur économique procurant un avantage concurrentiel à l’auteur des actes parasitaires et une inspiration ou une évocation intentionnelle injustifiée et à titre lucratif. »
Comment identifier un dupe ?
La vente des produits peut être accompagnée du hashtag « dupe », ou d’un hashtag comprenant la marque ou le nom du modèle. Or, une telle pratique pourrait être qualifiée de contrefaçon de marque, ou bien de concurrence déloyale.
De nombreux influenceurs proposent également ouvertement des vidéos répertoriant l’ensemble des dupes d’un modèle déterminé après une recherche approfondie sur le marché.
Le dupe peut se trouver en un clic sur Internet en recherchant les caractéristiques ou le nom du modèle, le tout accompagné du terme « dupe ». Le produit « dupe » est parfois proposé à la vente à la simple recherche du nom du modèle accompagné du nom de la maison vendant le produit, ce qui signifie que les grandes enseignes s’arrangent pour être référencées, même dans le cadre d’une telle recherche.
Le dupe se détache donc de la vision grand public et de l’image d’Épinal de la contrefaçon qui reprendrait à l’identique un modèle, accompagné de la marque verbale de la maison de luxe contrefaite. Cependant, malgré son image populaire, certains produits dépassent la simple inspiration et l’effet de mode, un tel comportement pouvant ainsi être répréhensible.