Avec la rubrique « Latitudes », 90° change d’échelle pour décrypter le droit au niveau international. Pour cette nouvelle édition, notre GPS indique 14° 40′ 50″ nord, 17° 25′ 40″ ouest : direction le Port Autonome de Dakar
Dans le grand ouest du Sénégal, entre Dakar Plateau et Bel Air, en face de l’île de Gorée : le port autonome de Dakar, et la valse des navires qui transportent, sous l’harmattan et au gré des marées, les quelques 22 millions de tonnes de marchandises qui transitent tous les ans sur les docks de la capitale.
Malgré des classements à la peine à l’échelle mondiale -seuls quatre ports sont classés dans le top 100 mondial : Tanger Med (Maroc), 24e, Port Saïd (Egypte), 48e, Durban (Afrique du Sud), 79e et Lomé (Togo), 94e– les ports africains, et notamment les ports dits autonomes sur la côte ouest de l’Afrique, jouent un rôle de plus en plus marqué dans l’économie du continent : à Dakar, c’est ainsi plus de 70% des exportations du pays qui transit et par le « PAD », port autonome de Dakar.
Ces « ports autonomes » renvoient à un certain imaginaire historique, celui des villes-républiques qui tirent leur richesse de la mer et du négoce de leurs ports, à l’instar de Venise, d’Athènes, ou de Carthage… Derrière le lexique poétique, le droit est au cœur d’un modèle de gestion des infrastructures portuaires commun à une partie de l’Afrique, notamment francophone. Ce modèle repose sur la gestion des infrastructures par une société détenue par l’Etat ou un établissement public, qui, tout en étant rattachée à un ou plusieurs ministères de tutelle, bénéficie d’une autonomie de gestion et de ressources propres.
Afin d’exploiter l’ensemble des infrastructures, d’assurer leur entretien et leur modernisation, les ports autonomes peuvent ensuite consentir des concessions à un ou plusieurs opérateurs privés et tirent ensuite leurs revenus, à titre principal, des redevances sur les marchandises, sur les navires et les conteneurs, lesquelles sont versés par les concessionnaires ou par les usagers directement selon le cas. Le modèle d’exploitation par concession est aujourd’hui généralisé dans tous les pays opérant des ports autonomes, notamment au Bénin, au Togo, au Sénégal ou en Côte d’Ivoire.
Côtés concessionnaires, après plusieurs décennies de relative stabilité, la concurrence s’est accentuée sur les acteurs historiques, incarnés en Afrique francophone notamment par le groupe Bolloré, avec l’arrivée de nouveaux concessionnaires/logisticiens chinois, turques, indiens ou émiratis, tels que DP World, principal opérateur portuaire du port autonome de Dakar, qui a récemment remporté la concession du port de Banana en République Démocratique du Congo.
Si le régime de la concession portuaire présente de nombreux avantages pour l’Afrique (notamment l’apport d’expertise par des acteurs internationaux, le financement de l’entretien et de la modernisation par les concessionnaires), il présente des inconvénients et ne permet pas à lui seul de résoudre l’ensemble des défis de développement, alors que les flux de marchandises qui transitent par l’Afrique augmentent exponentiellement.
- L’augmentation du trafic maritime et son corollaire : la congestion des ports
De nombreux ports africains, comme ceux de Dakar, Lagos et de Mombasa, fonctionnent à pleine capacité ou au-delà, provoquant des congestions fréquentes, donc des retards dans le traitement des marchandises et une augmentation du coût global pour le transport de marchandise.
Ces problèmes de congestion freinent d’une part la croissance nationale, mais provoque également une mise en concurrence accrue entre les Etats africains dans une même région, chaque port tâchant de s’établir comme hub régional maritime pour attirer le maximum de porte-conteneurs. Les ambitions de développement du port de Pointe Noire en République du Congo s’affichent ainsi comme un moyen de contourner la saturation du port de Lagos au Nigéria. Cette mise en concurrence présente l’avantage de dynamiser les investissements, mais a pour corollaire de fragmenter les ressources des investisseurs entre plusieurs pôles et dans certains cas, d’attiser des tensions sociales voire entre Etats.
- Le financement des infrastructures portuaires : nécessité et insuffisance
Le financement et les efforts de modernisation des ports africains par les Etats et les concessionnaires ont permis et permettent sans nul doute d’améliorer les situations locales. Au total, il est ainsi estimé que les ports africains ont reçu depuis 2005 plus de 15 milliards de dollars d’investissements pour l’élargissement ou l’amélioration des conditions de transit.
Toutefois, cette “course aux ports” ne se traduit toujours pas, selon un rapport de l’Africa Finance Corporation, par une amélioration concrète du système logistique dans sa globalité. En effet, l’amélioration ou le développement de nouvelles infrastructures portuaires ne permet pas de traiter des autres causes exogènes qui affectent le fonctionnement du port, notamment l’état des infrastructures routières et ferroviaires aux abords des ports. En outre, la capacité de la chaîne globale de logistique reste un frein significatif en Afrique de l’Ouest à la différence du Maroc, de l’Egypte ou de l’Afrique du Sud, qui disposent de meilleures infrastructures globales et d’une meilleure connectivité du fait de leur situation géographique.
En dernier lieu, certains ports conservent une attractivité limitée pour les importateurs au regard des problèmes de corruption affectant les services de douanes ou de police routière.
- La concession : la gestion par les concessionnaires sous pression
Difficile ici de viser des cas ad nominem, mais plusieurs Etats et usagers de ports africains ont parfois remis en cause la gestion du port par leur concessionnaire. Pour les Etats, l’internalisation de certaines opérations permettrait de réduire les coûts de fonctionnement, et donc, les recettes du port, par rapport aux coûts facturés par les concessionnaires étrangers. Pour les usagers, dans certains cas, les conditions d’exploitation et de renouvellement de conventions d’occupation du domaine portuaire se trouvent complexifiées face à un concessionnaire privé, avec des décisions de non-renouvellement opaques ou non motivées.
Il s’agit ici d’une critique plus globale inhérente à la concession : la relative perte de souveraineté par les Etats sur la gestion d’une infrastructure essentielle pour la croissance du pays.
Alors que les efforts de modernisation et de professionnalisation des ports rendent relativement indispensable le recours à la concession, la mission de service public déléguée aux concessionnaires nécessite également un contrôle ou une forme de supervision par les Etats. C’est notamment dans cette optique et afin de peser sur les orientations de développement du port que les autorités sénégalaises et togolaises ont renforcé leur participation directe au sein du capital social des sociétés de concessions locales.
En conclusion, les ports africains sont un moteur essentiel de la croissance économique du continent. En tant que nœuds stratégiques du commerce international, ils facilitent l’accès aux marchés mondiaux et soutiennent l’intégration régionale pour les pays côtiers et enclavés du continent.
Cependant, pour que ces infrastructures puissent pleinement jouer leur rôle, de nombreux défis restent à relever, s’agissant de la modernisation des infrastructures portuaires mais également de toute la chaîne logistique. Dans ce cadre, le recours au régime de la concession reste une norme, et dans une certaine mesure, une nécessité, étant toutefois précisé qu’elle présente des inconvénients et ne permet pas, à elle seule, d’assurer le développement des infrastructures portuaires africaines.