« L’humeur de » vous propose de découvrir la réflexion d’un(e) associé(e) de UGGC Avocats ou d’un invité inédit sur son domaine d’expertise. Dans cette nouvelle édition, Guillaume Champeau, fondateur du site Numerama et chief legal officer de Olympe.legal, prend la parole sur la lutte contre le piratage en France, à l’aune de la polémique sur les nouveaux tarifs d’accès aux matchs de Ligue 1.
Au début des années 2000, la démocratisation d’Internet et l’apparition des technologies d’échanges de fichiers de pair à pair (P2P) avaient fait naître de vives inquiétudes quant à la pérennité de la protection des droits d’auteur. Comment, face à un environnement de masse dans lequel les individus peuvent tous librement télécharger et s’échanger des copies des œuvres qu’ils stockent sur leurs ordinateurs, sera-t-il encore possible de rémunérer les créateurs et de contrôler les moyens de distribution ?
En apparence, la réponse fut pénale. Dans un premier temps, le législateur a en effet cherché à apporter une protection juridique aux mesures de protection techniques (les DRM, ou Digital Rights Management) censées empêcher la copie des oeuvres, en créant par une loi de 2006 les articles L335-3-1 et suivants du code de la propriété intellectuelle, qui punissent l’atteinte portée aux DRM. L’idée qui a pu être jugée naïve était alors d’assécher la filière du piratage en empêchant que les œuvres puissent être copiées. Mais très vite, devant l’inefficacité d’une telle mesure, le législateur a changé de tactique en adoptant la loi n°2009-669 du 12 juin 2009 favorisant la diffusion et la protection de la création sur internet, mieux connue sous le nom de “loi Hadopi”. L’idée de cette loi iconique était de confier à la Haute autorité pour la diffusion des oeuvres et la protection des droits sur Internet (HADOPI), depuis absorbée par l’Arcom, la mise en oeuvre d’une procédure dite de “riposte graduée” par laquelle tout internaute mettant une oeuvre piratée à disposition des autres pourrait être personnellement sanctionné, d’une amende voire d’une suspension de son accès à internet. Le tout fonctionnait de façon semi-automatisée, avec des avertissements préalables à la sanction.
En réalité, la solution fut commerciale. Si l’on peut avoir l’impression que la loi Hadopi a porté ses fruits puisque le piratage en P2P a fortement reculé (mais c’est surtout d’après les chiffres fournis par les ayants droits, notamment grâce aux procédures de blocages de sites), et que le droit d’auteur sur Internet n’est pas mort, dans les faits ce sont surtout les offres légales qui se sont adaptées et qui, par leur simplicité et leur prix très abordable par rapport aux ventes d’oeuvres à unité qui se pratiquaient alors, ont réussi à attirer un public prêt à payer. Le P2P a laissé place au streaming, bien plus commode d’utilisation. Netflix, Deezer, Spotify et quelques autres, avec des offres abordables aux catalogues quasi exhaustifs, ont vaincu le piratage.
Mais ce que le commerce fait, le commerce peut le défaire. Ainsi, le lancement d’une nouvelle plateforme disposant des droits exclusifs de la Ligue 1, DAZN, dont le prix a été jugé excessif, semble avoir poussé de nombreux internautes à se tourner à nouveau vers des alternatives illicites. Des canaux Telegram diffusant les matchs en toute impunité, et surtout des services chinois de télévision par Internet (IPTV) payants mais illégaux, prospèrent au détriment de toute l’industrie.. Des procédures restent possibles, fondées par exemple sur l’article 6.8 de la loi pour la confiance dans l’économie numérique pour obtenir la suppression de canaux, ou sur l’article L333-10 du code des sports pour bloquer les sites d’IPTV. Le temps dira leur efficacité à endiguer le déferlement.
Dans l’attente, le commerce pourra apporter ses propres réponses. DAZN en est conscient et a revu ses prix. Mais probablement trop tard. Avec, potentiellement, de nouveaux défis pour toute la filière de l’industrie audiovisuelle et leurs conseils qui avaient réussi à combattre le piratage et qui se retrouvent, de nouveau, à devoir lui faire face notamment par l’intensification des procédures de blocage de sites.