📆22 OCTOBRE 1996. Ce jour-là, la Cour de cassation rend un arrêt qui fera date en droit des contrats. Explications.
Comme beaucoup d’entreprises françaises, la société Banchereau peut compter sur les appels d’offres des marchés publics pour constituer son chiffre d’affaires. Avec les dossiers de candidature à remplir s’ajoute une date stricte de rendu et l’effet imparable de la deadline.
Pour s’assurer d’être retenu, la société s’offre les services de Chronopost qui promet un délai de livraison compétitif pour des prix qui le sont un peu moins : « le colis sera livré le lendemain de son envoi avant midi ».
A deux reprises les plis confiés à Chronopost ne parviendront pas aux destinataires dans le temps imparti ce qui fait perdre de vue la possibilité de signer une nouvelle affaire pour la société Banchereau. Elle engage alors la responsabilité contractuelle de son livreur. Manque de chance, Chronopost avait prévu une clause limitative de responsabilité : en cas de retard, seuls les 122 francs (28,45 €) de frais de transport seront dédommagés.
L’histoire est courte, le retentissement juridique sera long…
Chose promise, chose due ?
Les conditions générales de vente de Chronopost sont loin de satisfaire la société Banchereau. Pour autant, devant la Cour d’appel, la clause limitative de responsabilité de Chronopost s’applique; le retard de livraison ne constitue pas une faute suffisamment lourde pour remettre en cause son application.
Cependant, la décision de la Cour de cassation rebat les cartes et pointe du doigt la nature de la clause en jeu. Pour elle, Chronopost ne pouvait s’engager à livrer sa prestation et prévoir dans le même temps une clause qui l’en dédouane en cas d’échec. Clause qui porte a fortiori sur une obligation essentielle du contrat : livrer le pli en 24 heures. Quod scripsi, scripsi.
Une incartade théorique. Pour établir la validité d’un contrat, on regarde trois conditions : le consentement des parties, l’aptitude à contracter, le contenu licite et certain. Ici, c’est le consentement qui flanche. En ne respectant pas l’obligation de livrer le colis sous un certain délai, il y a eu erreur sur une qualité essentielle de la prestation. Autrement dit, si la société Banchereau avait su que le délai stipulé ne serait pas respecté, elle n’aurait pas contracté avec Chronopost en premier lieu.
La sanction ? Contraire à la loi, la clause ne s’applique pas et est immédiatement réputée non écrite. Les parties sont renvoyées devant la Cour d’appel pour juger l’affaire sur cette nouvelle base.
Voilà qui fait date.
Lorsque la Cour de cassation se prononce le 22 octobre 1996, sa décision prend de court la jurisprudence de l’époque. Jusque là, les cas similaires s’analysaient au prisme de la responsabilité du cocontractant et non de l’étendue de son obligation. Si la clause limitative de responsabilité n’avait pas porté sur l’obligation essentielle du contrat, l’issue aurait sans doute été différente.
Vingt après l’arrêt Chronopost, le droit des contrats connaît une réforme majeure. En février 2016, des articles du Code civil, intouchés depuis 1804, font peau neuve quand d’autres sont introduits. La portée de l’arrêt aboutit à l’article 1170 du Code civil : «Toute clause qui prive de sa substance l’obligation essentielle du débiteur est réputée non écrite ». Une règle plus générale qui pousse à la vigilance dans la rédaction d’un contrat…
Alors, pour ne pas faire de plis en matière contractuelle : être prudent oui, se contredire non.