📆23 MARS 1994. Ce jour-là, la Cour de cassation rend un arrêt qui fera date en droit de l’arbitrage. Explications.
Tout commence en 1980. La société française O.T.V lorgne sur un marché de travaux publics d’assainissement des eaux à Alger. Trop heureuse de pouvoir signer un deal à sept chiffres, elle entend bien le remporter. Pour ce faire, elle ne le fera pas seule. La société anglaise Hilmarton spécialisée dans le conseil juridique et fiscal est engagée par le groupe français. Trois ans plus tard, le marché est savamment conclu.
En 1986 les choses se compliquent : Hilmarton n’a toujours pas perçu la moitié de son dû. La société actionne alors la clause d’arbitrage prévue au contrat, pointant en direction de la Suisse.
La connexion France, Londres, Alger, Genève s’établit et le conflit s’annonce international. Quoi de mieux qu’une terre neutre pour y remédier ? On appliquera donc la loi suisse devant la chambre de commerce internationale de Genève.
La balle est dans quel camp ?
En 1988 une première sentence arbitrale est rendue. Hilmarton est déboutée, l’arbitre considérant le contrat initial nul au regard de la loi algérienne et de l’ordre public suisse. L’affaire est loin d’un rester là.
Un an plus tard, la Cour de justice genevoise annule cette sentence. On nomme un nouvel arbitre qui, en 1992, condamne la société O.T.V au règlement du solde restant à la société Hilmarton.
Cependant, O.T.V a pris les devants : la sentence de 1988, lui étant largement favorable, a fait l’objet d’une demande d’exequatur accordée par la Cour d’appel de Paris en décembre 1991.
Qui dit exequatur dit reconnaissance de plein droit des effets d’une décision étrangère en droit français. Autrement dit, pour le juge français la solution rendue en 1988 est exécutable en France.
Lorsque la société londonienne attaque l’arrêt rendu par le juge français, elle n’obtient pas gain de cause. Pourtant, la sentence exequaturée n’avait-elle pas été annulée en 1989 par la Cour genevoise ? Le 23 mars 1994, le juge français tranche : « la sentence rendue en Suisse était une sentence internationale qui n’était pas intégrée dans l’ordre juridique de cet État de sorte que son existence demeurait établie malgré son annulation et que sa reconnaissance en France n’était pas contraire à l’ordre public international ».
Voilà qui fait date.
L’arbitrage fait partie des modes de résolution des conflits aux côtés de la médiation et des juridictions étatiques. En droit du commerce international, il est particulièrement prisé, notamment car il accélère le délai de résolution et offre une marge de manœuvre considérable pour les parties. En effet, au sein d’une clause d’arbitrage on pourra préciser le droit applicable, le lieu de règlement du litige et nommer à sa préférence un ou plusieurs arbitres compétents.
La solution de l’arrêt Hilmarton a eu un retentissement majeur en droit de l’arbitrage. Si bien que, aujourd’hui encore son fondement est invoqué devant le juge.
Toutefois, parler de “sentence internationale” n’est pas tout à fait une innovation de 1994. Dès 1963, l’arrêt Gosset consacre l’autonomie de la clause compromissoire vis-à-vis du contrat qui la contient et amorce la construction du régime propre de l’arbitrage international. De sorte que, la sentence arbitrale internationale existe en dehors du contrat qui la stipule, déconnectée du cadre national applicable.
Un processus d’autonomisation qui s’est poursuivi en 2007 lorsque l’arrêt Putrabali qualifie la sentence arbitrale de “décision de justice internationale”.
En revenant sur notre affaire, notons que la société O.T.V n’en est pas sortie indemne. La seconde sentence arbitrale rendue en 1992 et favorable à Hilmarton a elle aussi fait l’objet d’une exequatur accordée par le juge français.
Moralité, on n’échappe pas si facilement à ses créances, même à l’international…