«L’humeur de» vous propose de découvrir la réflexion d’un(e) associé(e) d’UGGC Avocats sur des sujets liés à son expertise. Dans cette nouvelle édition, Jean-Jacques Uettwiller nous invite à réfléchir sur les déferlantes de régulations, mais vox clamantis in deserto*.
Le Président de la République a posé, urbi et orbi, le principe de la dérégulation à chaque fois que possible et le Premier Ministre en visite chez des agriculteurs a délivré le même message puis annoncé une prochaine loi de programmation agricole.
Voilà. Tout est dit et depuis longtemps. Tocqueville déjà au XIXème siècle écrivait : « La France, si elle ressemble à l’Angleterre par son gouvernement parlementaire, est pire que la Prusse car sa centralisation administrative est mille fois plus complète. L’administration centrale s’occupe autant des détails que des grandes affaires »(1). Et nous avons contaminé nos voisins. Un autre auteur avait conclu dans le même sens, il y a un siècle : « Pédante tyrannie de la forme, souveraineté des bureaux, complications pédantes d’écritures…. Chaque Français, depuis des générations, s’en est plaint. Mais contre tout ce qui ralentit notre vie nationale, chaque génération française demeure impuissante. »(2)
Prenons l’ordonnance n°2023-1142 du 6 décembre 2023, relative à la publication et à la certification d’informations en matière de durabilité et aux obligations environnementales, sociales et de gouvernement d’entreprise des sociétés commerciales. À sa lecture (et à celle du décret correspondant), je déplore qu’il y ait peu de chances pour que les patrons du CAC 40 au volant de leurs SUV et encadrés par le service d’ordre du MEDEF décident de bloquer Paris, encore que cette malheureuse ville y parvienne bien toute seule. Et pourtant, ces textes mériteraient une action, bien qu’il s’agisse de la transposition d’une directive européenne (la directive CSRD).
Bien sûr, les causes ne sont pas les mêmes et les uns défendent leur existence, alors que les autres préfèreraient défendre leurs entreprises contre les surcoûts inutiles, et plus généralement la compétitivité de la France et son indépendance.
De même, le Wall Street Journal a pu cibler en février 2024 « les excès de la réglementation européenne, ou l’art de se tirer une balle dans le pied », en soulignant à propos de l’intelligence artificielle que la réglementation européenne agressive entrave la capacité des pays européens à rivaliser avec la Chine et les Etats-Unis.
Au-delà des plaisanteries faciles, il est peu discutable que l’environnement réglementaire de nos entreprises se complexifie à outrance sans que l’efficacité des mesures prises soit estimée ex ante et évaluée ex post. Pour revenir sur les textes mentionnés supra, il faut mesurer l’évolution en quelques décennies des informations devant être fournies par les sociétés dans leur rapport de gestion et dans les documents qui lui sont annexés, au point que plus personne ne les lit et surtout que personne n’en mesure le coût.
Est-il sain que le rapport annuel des entreprises mobilise plus d’avocats que de financiers ?
* la voix de celui qui parle dans le désert