Avec la rubrique « Latitudes », 90° change d’échelle pour décrypter le droit au niveau international. Pour cette nouvelle édition, notre GPS indique 23° 43′ 00″ nord, 15° 57′ 00″ ouest : direction Dakhla
Laissez vous porter. Cette latitude vous emmène, au gré des alizés et du sirocco, à la découverte d’une ville dont le potentiel réside dans sa capacité à embrasser les éléments. Imaginez un peu. Une péninsule à 30 km au nord du tropique du Cancer, sous les mêmes latitudes que La Havane, Canton ou Hawaï. Mais nous sommes ici dans le Sud du Maroc, à la fois aux portes du désert et au bord de l’océan Atlantique.
Dakhla n’était pendant longtemps qu’une bourgade, avec déjà sa petite notoriété : elle a vu défiler Saint-Exupéry ou encore Mermoz qui s’y arrêtaient pour remettre du carburant. De son temps sous protectorat espagnol, il paraît qu’elle en a toujours le rythme. On s’y lève tard, on y déjeune tard, on s’y couche tard.
Dakhla, la mer en héritage…
La ville est déjà connue des amoureux du kitesurf. Elle accueille chaque année la Coupe du monde de la discipline. Dakhla, c’est le “spot” magique, la carte postale parfaite, entre mer et dune, à moins de 300 km de la frontière mauritanienne. Tant est si bien qu’en dix ans, le nombre de touristes y a quadruplé. La région est au cœur d’un plan stratégique sur 4 ans : le programme “Ocean Waves”. Le principe ? Miser sur cette filière des amoureux des sports nautiques, qui ne représente aujourd’hui que 3% des recettes nationales. Mais le potentiel est grand, et la région compte sur 300.000 touristes d’ici 2026, lorsque Dakhla offrira les mêmes conditions d’accueil que le cluster déjà bien identifié Agadir/Taghazout. Cela implique de créer 2.000 lits additionnels d’ici 2030. Une première étape est déjà franchie, avec la signature en mars 2023 d’une convention-cadre. Des “labos d’impulsion” ont été créés, avec des partenariats publics /privés et des plans d’action régionaux.
Mais il n’y a pas que des sportifs dans les eaux de la ville, il y a aussi des ressources halieutiques. Comme dans les autres provinces du sud, la pêche est l’activité la plus répandue dans cette région qui compte 667 km de côte. Avec 500 000 tonnes de pêche par an, le secteur représente plus de 40 % des revenus de la région. Le CRI* encourage en conséquence les investisseurs à se lancer dans la valorisation des produits de la mer, notamment à travers la création de conserveries de poissons.
Autre projet en cours pour tirer le meilleur de sa localisation : le port Atlantique de Dakhla dont la livraison est annoncée pour 2028. Pensé comme une place pivot entre les marchés européens, américains et africains, il englobera notamment un parc industriel et logistique, la “West Africa Free Zone.” Autres installations prévues : un bassin de commerce avec un poste pétrolier, un bassin de réparation navale, et un bassin de pêche côtière et hauturière.
Mais ce n’est pas uniquement l’océan qui est plein de promesses pour Dakhla. Dans quelques années, elle pourrait devenir l’une des plateformes d’hydrogène vert, la source énergétique dans l’air du temps, la plus productive de la région.
… et le vent en poupe
Il faut dire qu’elle en a des atouts. À commencer par une complémentarité de l’énergie solaire (avec, naturellement, un pic d’ensoleillement à midi) et de l’éolien. Quand le soleil est moins fort, c’est là que les vents s’enregistrent à la hausse. Un scénario idéal pour l’autonomie énergétique. A n’importe quelle heure du jour ou de la nuit, il y a toujours un élément naturel sur lequel compter. Comme si, à Dakhla, Hélios et Eole se passaient continuellement le relais. Cela en fait un lieu idéal pour développer l’une des énergies les plus prometteuses : l’hydrogène vert. Kezako ? Un hydrogène dont la production n’engendre quasiment aucune émission carbone. Comment ? Via l’électrolyse, un processus qui utilise l’électricité (générée grâce à de l’énergie solaire, hydraulique ou éolienne) pour décomposer l’eau en gaz hydrogène et oxygène.
Le Royaume chérifien tire déjà 20% de son énergie de sources renouvelables, avec pour objectif de porter ce chiffre à 52% d’ici 2030 – et même jusqu’à 86% si possible. Un scénario ambitieux, mais pas impossible. Le Maroc, et particulièrement grâce à la région de Dakhla, dispose de grands atouts pour asseoir un rôle de “game changer” en matière d’énergie au niveau mondial. Il peut compter sur une proximité géographique et diplomatique avec le continent européen. L’Allemagne par exemple a exprimé son ambition de consolider un partenariat énergétique. De plus, il dispose déjà d’infrastructures d’interconnexions énergétiques (infrastructures gazières et portuaires) bien reliées à l’Atlantique et à la Méditerranée. Le World Energy Council a identifié le Maroc comme un des 6 pays avec un fort potentiel de production et d’exportation d’hydrogène et de dérivés verts. C’est ainsi qu’un projet d’envergure est à l’étude, pour déployer à Dakhla un complexe dédié à l’hydrogène et à l’ammoniac verts.
Le droit comme créateur de possibles
De ces secteurs économiques, la région pourrait tirer des nombreuses externalités positives directes et indirectes. Création d’emplois, stimulation d’un tissu de sous-traitance locale, dynamisation des investissements dans la région, rénovation des infrastructures, meilleur accès à l’eau potable et mise à disposition à prix compétitif des productions en local. Dakhla a tout le potentiel d’un véritable pôle économique. Porté par les éléments, elle ferait cohabiter tourisme, production agroalimentaire, industrie énergétique. Chaque secteur nourrissant le développement des autres, dans un cercle vertueux.
Mais devant l’envergure des investissements nécessaires, sans un cadre juridique adapté ces ambitions ne seraient que… du vent ! Ces mégas projets nécessitent des investissements significatifs et des besoins particuliers.
Les autorités marocaines le savent, et planchent, de concert avec les institutions publiques, les opérateurs régionaux et les acteurs économiques sur des programmes à court, moyen et long termes pour dynamiser les investissements. Prenons l’exemple de l’hydrogène. Le Maroc a créé une commission nationale de l’hydrogène en 2019 et a publié une feuille de route pour l’hydrogène vert en janvier 2021. Plusieurs opérateurs économiques suivent depuis plusieurs années avec attention l’annonce imminente du Plan National. Le Maroc veut avoir les moyens de ses ambitions. Il apprend à composer, pour offrir aux investisseurs des conditions rassurantes pour ces méga-projets qui pourraient voir le jour dès 2027/2028.
En premier lieu, les aspects juridiques, fiscaux et financiers. Les investisseurs ne pourront se lancer que si la rentabilité est garantie in fine. En effet, pour un projet d’hydrogène à Dakhla, il est évoqué un investissement de plusieurs milliards d’euros pour la première phase. Afin de rassurer les investisseurs, le Maroc propose d’offrir un régime fiscal stable, prévisible et compétitif (avec par exemple l’exemption – sous certaines conditions – des taxes liées à l’importation). Le Maroc offre également une grande clarté sur le rapatriement des dividendes, et un régime légal stable qui permet de protéger les investissements.
Viennent ensuite les enjeux autour des moyens – notamment fonciers – mis à disposition. Si cette question du foncier est incontournable au regard de la nature de tout projet industriel, cela est d’autant plus vrai sur les grands projets comme la production d’hydrogène vert qui nécessitent de sécuriser les terres par des contrats de location ou de droit de superficie engageants pour au moins 50 ans, tout en garantissant l’accès maritime dans une optique d’exportation.
Par ailleurs, pour qu’un projet soit finançable, le chiffre d’affaires doit être sécurisé à long terme, et ce dès la phase de développement du projet. L’une des clés est d’avoir conclu un ou plusieurs contrat(s) de vente à long terme (take or payoff-take agreement) de la production d’hydrogène vert pour à la fois garantir un chiffre d’affaires mais également pour prémunir celui-ci des risques des fluctuations des divers marchés (transport, matière première, inflation). Depuis plusieurs années, le Maroc a défini une politique économique claire : Après avoir réussi sa politique de cluster, notamment dans les domaines automobile et aéronautique, il se positionne comme l’un des champions du secteur des énergies renouvelables.
Dakhla, par sa position géographique si particulière, son exposition aux éléments et son étendue pourrait devenir un symbole de nouveaux pôles économiques “made in Africa”. Capitaliser sur un secteur d’avenir (les énergies renouvelables), surfer sur les atouts d’un tourisme responsable (les amoureux de l’océan), nourrir les tissus économiques existants (la pêche) : un trio gagnant ? Ce qui est certain, c’est que le modèle de développement porté par le Royaume, qui propose de favoriser les investissements étrangers à condition d’un engagement pérenne des acteurs économiques sur ses territoires est un modèle résolument “win win” qui pourrait inspirer les nouvelles relations économiques “Nord / Sud”. Dans ces nouveaux cadres, les sujets réglementaires et contractuels apparaissent comme centraux pour que le Dakhla de demain puisse se construire sereinement, pas contre, mais avec vents et marées !
*CRI : Centre Régional d’Investissement, organes en charge de la contribution à la mise en œuvre de la politique de l’Etat en matière de développement, d’incitation, de promotion et d’attraction des investissements à l’échelon régional et d’accompagnement global des entreprises, notamment les TPME.