📆 28 NOVEMBRE 2018. Ce jour-là, la Cour de cassation rend un arrêt qui fera date en droit du travail. Explications.
Tout commence en 2013. Take Eat Easy, entreprise belge, perce dans l’univers des plateformes numériques de livraisons de repas. L’ubérisation est en marche, et les pavés des grandes villes françaises sont bientôt battus par des auto-entrepreneurs à dossard flashy. Derrière le vernis de l’entreprenariat libre et innovant, nulle trace des congés payés, arrêts maladie et autres cotisations chômage associés au salariat. Cela ne freine pas les milliers de cyclistes volontaires qui se lancent alors dans l’aventure… Jusqu’à ce qu’un coursier cherche à obtenir le statut de salarié et que les mécaniques de la start-up déraillent définitivement en 2016.
La Cour mène l’enquête.
Nul besoin de graver noir sur blanc la mention “contrat de travail” pour s’y retrouver. En matière contractuelle, le juge dispose d’un super-pouvoir : la requalification. Lorsqu’elle se produit, elle peut entraîner des sanctions indemnitaires voire pénales. Encore faut-il avoir recours à un faisceau d’indices. Ainsi, parler de contrat de travail c’est réunir trois critères : une prestation de travail, une rémunération, un lien de subordination.
Dans notre cas, pas d’ambiguïtés concernant l’existence d’une prestation de travail et d’une rémunération. C’est sur le lien de subordination – pouvoir de contrôle, de direction et de sanction de l’employeur – que tout va se jouer.
L’application utilisée par les coursiers géolocalise leur déplacement, décompte les kilomètres effectués et des sanctions sont prévues en cas de retard de livraison. Aucun doute : pour la Cour de cassation, ce lien est bel et bien caractérisé, quand bien même l’auto-entrepreneur est libre de déterminer ses horaires de travail et n’est lié par aucune clause de non-concurrence.
Voilà qui fait date.
La Cour opère un basculement inédit. Pour la première fois, elle reconnaît l’existence d’un contrat de travail liant un coursier à une plateforme numérique. L’élan donné par ce revirement ne s’arrêtera pas là ; une trentaine d’anciens coursiers obtiendront des indemnités liées à la requalification de leur contrat. Les entreprises visées ne peuvent désormais plus obtenir les avantages de la relation salariée (contrôle et pouvoir de direction) en évitant ses inconvénients (charges sociales et respect de la législation en cas de rupture contractuelle). On ne peut pas avoir le beurre et l’argent d’Uber !
Ce tournant aura des conséquences sur le terrain législatif et jurisprudentiel. En 2022, la plateforme Deliveroo passait à son tour sur le grill pour travail dissimulé. Cependant, la requalification n’est pas automatique et lorsqu’il s’agit de contrat, le diable se cache assurément dans les détails.
L’occasion de rappeler que ce système de salariat déguisé ne se limite pas qu’aux plateformes de livraisons, d’autres professions pouvant être concernées.