Dans le flux tendu de l’actualité, il est fréquent de voir des imprécisions ou idées reçues s’imposer dans le récit médiatique. “Dans les faits” prend du recul et remet le droit au centre des débats.
Lundi 3 septembre, Bernard Arnault et sa famille annoncent une aide de 10 millions d’euros aux Restos du Cœur. Quelques jours plus tard, le don en question provoque une série de messages hostiles sur les réseaux sociaux. L’idée reprise : la famille Arnault “bénéficiera de 66 % de crédit d’impôts payé par le contribuable soit 6,6 millions d’euros. Son geste généreux ne lui coûtera donc que 3,4 millions d’euros pour une couverture médiatique hors de prix.”
Cet argument, avancé par certains députés, inclut de mauvais chiffres et ne tient pas compte d’une précision : la holding Agache de Bernard Arnault ne réclame aucune réduction fiscale. Une pratique finalement pas si extraordinaire lorsqu’on rentre dans le détail.
Réduction d’impôt et avantage fiscal, une nette différence
Le régime fiscal de la réduction au titre des dons des entreprises est fixé par la loi Aillagon de 2003. Il permet aux entreprises de bénéficier – au titre des dons à des organismes d’intérêt général – d’une réduction d’impôt de 60% du montant du don pour l’émetteur sur sa fraction inférieure à 2 millions d’euros. Au-delà, la réduction accordée est de 40 %, dans la limite de 20 000 euros par an ou de 0,5 % du chiffre d’affaires hors taxes, en retenant le seuil le plus élevé. Si l’intégralité de la réduction ne peut pas être imputée sur le premier exercice fiscal, elle est alors reportable en avant sur 5 ans maximum.
Les versements effectués au profit d’organismes sans but lucratif qui procèdent à la fourniture gratuite de repas à des personnes en difficulté ouvrent droit à une réduction d’impôt au taux de 60 %, quel que soit leur montant, et ne sont pas retenus pour l’appréciation du seuil de 2 M €. Détail important : le don lui-même n’est pas une charge déductible du résultat imposable sur lequel l’impôt est calculé. Ainsi, pour un don de 10M€ à un organisme qui fournit des repas gratuit, il faut bien distinguer la réduction d’impôts, l’avantage fiscal réel et le coût net du don :
- Dépense non déductible : 10M€
- Surcoût d’impôts sur les sociétés (IS) au taux de 25 % (lié à cette non-déduction) : +2,5M€
- Réduction d’IS mécénat : – 6 M€
- Avantage fiscal réel : 3,5 M€
- Coût du don net de l’avantage fiscal : 6,5 M€
Ces chiffres mettent en lumière différentes imprécisions dans les critiques faites au don Arnault. Dans le cas où la holding Agache aurait réclamé une réduction d’impôt, ce ne sont pas 66 % de crédit d’impôts sur les 10 millions mais 60% sur 2 millions d’euros, puis 40% pour les 8 millions restants. Par ailleurs, ces montants auraient conduit à une réduction d’IS de 6 M€, donc à un avantage fiscal réel de 3,5 M€ (et non 6,6M€). Le coût net de ce geste pour les donateurs ? 6,5 millions d’euros, et non 3,4.
Ce sont en réalité les ménages qui peuvent profiter d’une réduction d’impôt de 66 % du montant des sommes versées, retenues dans la limite de 20 % du revenu (et de 75 % du montant versé dans la limite de 1 000 € pour les dons effectués par un ménage aux organismes fournissant gratuitement des repas à des personnes en difficulté).
Plus du tiers des entreprises donatrices ne réclament pas de réduction d’impôts
Face au développement du mécénat et des Fondations d’entreprise, un rapport de la Cour des comptes pointait en 2018 l’absence de chiffrage et de contrôle. Depuis lors, les chiffres sont intégrés au projet de loi de finances et permettent d’évaluer la dépense publique correspondant aux réductions d’impôts accordées.
Depuis le 1er janvier 2021, les organismes sans but lucratif ayant reçus des dons au titre du mécénat sont dans l’obligation de déclarer chaque année tous les dons perçus et les reçus fiscaux émis. De leurs côtés, les entreprises donatrices doivent désormais disposer de reçus fiscaux et déclarer les dons supérieurs à 10000 euros.
Ces nouvelles obligations permettent de mesurer la tendance. En 2023, en France, le coût de la réduction d’IS au titre du mécénat réalisé par 90000 entreprises, s’élèverait à 1,5 milliards d’euros. Une tendance très à la hausse au regard des montants des 2 années précédentes : 1,07 milliard en 2021 puis 1,3 milliard en 2022.
Autre point surprenant. Dans ce même rapport de 2018, la Cour des comptes constate que la part des dons non déclarés et ne bénéficiant pas de la réduction fiscale était égale à celle des dons déclarés (50% de dons sans avantage fiscal réclamé). Plus récemment, l’association Admical a annoncé un chiffre de 35 % de dons non déclarés (baromètre 2022 du mécénat d’entreprise en France). Finalement, la donation de la famille Arnault qui ne donnera lieu à aucune défiscalisation fait écho à une pratique répandue.
Avis aux futurs mécènes
Selon le Baromètre de l’association Admical précité, seules 9 % des entreprises ont franchi le pas du mécénat en 2021. Et celles qui le pratiquent n’utilisent pas le plafond alternatif de 20 000 € (plus souvent intéressant pour les PME mécènes) au lieu du plafond de 0,5% du CA.
Autre écueil à signaler : les actions de mécénat qui sont orientées vers l’intérêt général (justifiant leur régime fiscal) peuvent être confondues avec une politique RSE, cette dernière étant conduite dans l’intérêt commercial de l’entreprise (satisfaction des salariés, clients ou actionnaires) même si elle est emprunte d’un certain désintéressement. Le schéma est inverse pour le mécénat. Principalement désintéressé, il peut accessoirement servir les intérêts de l’entreprise, comme le souligne la Cour des comptes.
Les entreprises doivent se mettre au clair avec tous ces mécanismes et être attentives aux frontières à respecter entre leurs actions de mécénat et d’autres modes d’intervention pour mieux saisir les régimes fiscaux applicables. Pour inscrire leur stratégie de mécénat dans une perspective long terme, elles doivent être accompagnées !
PS : pour faire un don aux Restos du Cœur, n’hésitez pas à vous rendre sur le site de l’association