Dans le flux tendu de l’actualité, il est fréquent de voir des imprécisions ou idées reçues s’imposer dans le récit médiatique. “Dans les faits” prend du recul et remet le droit au centre des débats.
Ces nobles mots que sont le « partage de la valeur » ont connu en 2023 une actualité vibrante avec l’adoption fin juin par l’Assemblée nationale d’un projet de loi issu d’un accord syndicats-patronat. L’objectif de la réforme : mieux partager la valeur produite par les entreprises avec (principalement) les salariés. Selon le gouvernement, 1,5 million d’entre eux pourraient être concernés d’ici deux à trois ans.
Quelques jours avant ce large vote des députés, l’ONG Oxfam France publiait un rapport intitulé L’inflation des dividendes afin d’influencer médiatiquement le débat. Parmi les chiffres repris par FranceInfo ou encore Libération, citons l’extrait suivant : “entre 2011 et 2021, dans les 100 plus grandes entreprises françaises cotées en bourse, la dépense par salarié n’a augmenté que de 22%, tandis que les versements aux actionnaires ont augmenté de 57%.” Précisons que la méthodologie de l’ONG a été contestée par le journal L’Opinion, qui y voit des “astuces de présentation” pour “scandaliser le public”. Ce débat est l’occasion de nous interroger : l’opposition systématique entre actionnaires et salariés, développée par certains, reste-t-elle pertinente à l’aune des évolutions annoncées ?
La valeur du partage
Pour mémoire, la réforme votée vise à moderniser des outils déjà mis en place que sont notamment les dispositifs d’intéressement, de participation, de plan d’épargne entreprise mais aussi d’attribution gratuite d’actions (AGA) sur lequel nous nous concentrerons.
Partager de la valeur, c’est bien, mais quelle valeur donner au partage ? C’est bien tout l’enjeu et le message que le dirigeant d’entreprise devra d’abord préparer et qui souvent participera d’une reconnaissance du travail accompli et d’une motivation pour l’avenir, mais également de l’attractivité de l’entreprise dans la recherche de talents et d’un vecteur de fidélisation, tout particulièrement pour les AGA.
Pour ne reprendre que les AGA, il ne s’agit pas d’un substitut de salaire mais un «plus» pour les raisons évoquées. On peut également leur prêter une fonction de «drapeau» de ralliement, notamment pour ceux qui sont éloignés du siège comme les salariés basés à l’étranger, à la recherche commune de la valeur qui pourra être plus facilement partagée. La valeur à donner au partage pourra, entre autres, se traduire dans la documentation. En effet, le régime des AGA permet, avec beaucoup de souplesse, de faire soit du « prêt à porter » soit de la « haute couture » dans la fixation des conditions d’attribution qui seront choisies, en évitant l’abus et la complexité.
Partageons ici une anecdote donnée par un client qui avait mis en place en 2005 un des premiers plans d’AGA. En quittant son bureau le soir, il rencontre un salarié bénéficiaire, qui lui dit : « Merci Monsieur le président de m’avoir permis de devenir actionnaire de la société, désormais, je n’oublierai plus d’éteindre la lumière de mon bureau en partant le soir !».
Aller au-delà d’un droit aux dividendes
En quoi consiste cette fameuse réforme ? Elle propose, d’abord, de rehausser les plafonds globaux d’AGA et d’assouplir les règles sur leur attribution. N’oublions pas que les AGA ne sont pas si gratuites que cela, tant pour la société (qui supportera une contribution sociale de 20 % sur la valeur des actions attribuées et une diminution de ses capitaux propres en cas d’AGA post rachat de titres) que pour l’actionnaire par l’effet dilutif. Ce dernier sera d’ailleurs potentiellement amplifié par la réforme si les AGA sont attribuées par la voie d’actions nouvelles.
Au travers des AGA, différentes formes de valeurs « monétisables » seront partagées. En premier lieu, post attribution définitive des actions, un droit aux dividendes futurs (sauf cas particuliers). Mais il doit y avoir plus, lorsque les actions attribuées ne sont pas cotées sur un marché. En ce domaine, l’adage « qui donne et reprend a un cœur de serpent » n’a pas lieu d’être : il faut justement « reprendre » mais avec un prix, c’est-à-dire assurer une liquidité au bénéficiaire lui permettant à terme de monétiser son capital, soit par l’émetteur, l’actionnaire majoritaire ou un tiers. Par conséquent, cette phase de liquidée devra être organisée juridiquement et anticipée financièrement par ceux qui devront assumer ce rôle.
A l’heure où les « managements packages » sont soumis à de sérieuses secousses notamment fiscales, le recours au mode plus normé des AGA -certes avec ses limites- va connaître un nouvel essor, favorisé par la réforme énoncée. Le partage de la valeur pour le bénéficiaire répondra ainsi à la valeur du partage attendu par l’émetteur.