Comme la société, le droit évolue : avec Pépite d’archives, retour vers le passé pour mieux éclairer notre présent.
Leasing, location, maintenance… Désormais, le service sous toutes ses formes est devenu la norme pour les entreprises et les particuliers. Cette notion croissante de service correspond à une évolution sociétale : ce qui compte n’est pas de posséder la chose mais d’en jouir par le seul usage. In fine, c’est la propriété qui s’efface progressivement.
Avant même l’automobile, ce changement de paradigme a touché bien d’autres secteurs, comme celui de l’industrie musicale. Les bibliothèques étalant les disques dans un salon se sont effacées au profit de larges catalogues digitaux. Le client n’est plus propriétaire de ses biens mais dispose d’œuvres plus nombreuses à écouter via un abonnement mensuel. Et quand l’abonnement s’arrête, le client perd toutes les œuvres.
Ce glissement des relations s’accompagne d’une évolution des rapports contractuels. Les obligations deviennent celles d’une relation de prestataire de services et non plus de vendeur à acheteur. En conséquence, notamment : la perte des garanties dues par le vendeur à l’acheteur, à l’instar de la garantie des vices cachés. Cette évolution récente nous permet de mettre en parallèle deux manières de voir qui s’éloignent déjà.
Les contours de la propriété, entre obligations et garanties
A l’origine, le Code Civil. Le droit de la propriété y est défini au tout début du XIXe siècle, par les législateurs de l’administration Napoléonienne. Son grand principe est le suivant : “La propriété est le droit de jouir et de disposer des choses de la manière la plus absolue, pourvu qu’on n’en fasse pas un usage prohibé par les lois ou par les règlements.”
Cette mention générique de propriété induit des obligations précises pour le vendeur de la chose et donc des garanties pour l’acheteur qui doit disposer de la chose d’une manière absolue en contrepartie du paiement d’un prix. Parmi ces garanties, citons par exemple celle des vices cachés ou celle de sécurité des produits.
Revenons à nos voitures. Outre les problèmes majeurs (moteur, boîte de vitesses, freins ou direction), quelques affaires permettent d’entrevoir l’étendue des obligations qui peuvent être dénoncées par le propriétaire. En effet, le pouvoir absolu conféré à l’acheteur sur le bien le conduit à projeter de multiples qualités attendues -réelles ou imaginaires- du véhicule.
Quelques exemples éloquents valent le détour.
Bruit, cloques et points de suspension
En juillet 1996, Monsieur Burtin a saisi la justice sur le fondement de la garantie des vices cachés en raison de bruits affectant le pneu de son véhicule. Finalement la juridiction saisie n’a pas retenu que ce bruit rendait le véhicule impropre à l’usage.
En juin 1998, Monsieur Lautru acquiert un véhicule Voyager (Chrysler). Début 2000, il remarque des cloques sur le toit du véhicule résultant d’un défaut existant lors de la livraison, selon lui. L’expert mandaté conclut en ces termes : “L’origine des défauts est consécutive à un enfoncement partiel du pavillon ainsi que de ses montants latéraux, probablement dû à la chute d’un objet lourd.” L’affaire en restera là.
Autre exemple parlant, sur le niveau des obligations attendues. Il ne s’agit pas de bruit de pneus mais de “vibrations anormales” ressenties lors du freinage par Mr Frick et Mme Wolf, en 1998. Ces troubles assez subjectifs sont souvent délicats à contester pour le vendeur et le fabricant. Dans son rapport définitif, l’expert désigné – après avoir relevé que les examens effectués n’ont pas mis en évidence toutes les anomalies annoncées – relève cependant que la persistance des vibrations au freinage a été constatée après l’expertise, par des témoins de bonne foi, et que le poids des passagers a une influence sur la réponse de la suspension.
Même très particulières et circonstanciées ces vibrations engendrent la responsabilité du vendeur et du fabricant car l’expert retient que les vibrations et les défauts d’allumages sont de la responsabilité du vendeur et que l’intervention de remise en ordre devrait être effectuée à sa charge, le cas échéant, avec la participation du constructeur. Cependant, cette subjectivité se retourne parfois contre le consommateur.
En 1996, Monsieur Gouisset se plaint de multiples désordres sur son véhicule, notamment de vibrations anormales du train avant à partir de 110 km/h, d’un manque de progressivité, de claquements au démarrage et de bruits de freins arrières. Après divers essais, l’expert conclut que le véhicule n’est atteint d‘aucun désordre et qu’en réalité le problème vient du fait que le véhicule ne convient pas à Monsieur Gouisset pour des raisons personnelles.
Vers davantage de jouissance du bien.
La propriété traduit ce droit absolu de “jouir et de disposer des choses de la manière la plus absolue.” Mais il a des contreparties : un prix conséquent à payer et une responsabilité de l’acquéreur dans la bonne conservation du bien. Aussi, se sont progressivement développés deux types de services qui atténuent le rapport absolu au bien acquis et qui réduisent de ce fait le prix à payer par le client et l’attention qu’il doit porter à la conservation de son véhicule.
Dans les villes, un service organisé par les collectivités de mise à disposition de véhicules pour un temps très court (1 heure ou plus) a vu le jour. Le «client» n’est plus acheteur mais locataire du véhicule pour une durée très limitée. Ce qui motive son acte de consommation est la disposition et l’usage d’un véhicule et non l’existence d’un droit absolu sur le bien.
Ses attentes sont de ce fait moins importantes, les véhicules loués étant en général des modèles assez simples. La chaîne d’usage des véhicules fait intervenir un tiers, la collectivité, mais l’acte de consommation est beaucoup plus simple que celui d’acheter un véhicule qui suppose de le tester, de discuter son prix, de le comparer à d’autres véhicules.
Initié par Autolib’, le modèle a été dupliqué aux autres moyens de transport par de nouvelles entités (Zity, Ubeeqo, Sharenow, Getaround…). Comment sont présentés ces services ? Zity formule sa prestation en ces termes : “Réservez un de nos véhicules depuis votre smartphone, conduisez aussi longtemps que vous le souhaitez, faites une pause autant de fois que vous en avez envie. Zity c’est easy !”
Le client n’a besoin de nulle garantie pour être protégé. Les obligations juridiques qui découlent de cette relation relèvent essentiellement des obligations prévues par le contrat de service, avec une responsabilité accrue du conducteur sur la description de l’état du véhicule, les signalements de pannes, les conditions de paiement et de restitution. Le prix est limité à la durée d’utilisation du véhicule. S’il ne fonctionne plus, il suffit de changer de véhicule. On se rapproche ici de l’industrie musicale : le catalogue est remplacé par le parc d’autos et quand on arrête de louer un véhicule, on n’a plus de véhicule.
Dans le même esprit, certains constructeurs ont, sans remettre en cause l’acquisition du véhicule, proposé des contrats de services de plus en plus poussés à leur clients destinés à faire face à la plupart des difficultés envisageables. Smart propose ainsi ses options «Service Care» ou «Complete Care» qui impliquent une prise en charge des réparations, notamment celles dues à l’usure selon les limites définies par le contrat, avec mise à disposition d’un véhicule de courtoisie en cas de réparation. Assisté pour la reprise, le recyclage et la valorisation de son véhicule en fin de vie, le client reste propriétaire et bénéficie toujours de garanties ; il se déleste en revanche de ses obligations en souscrivant un abonnement mensuel pour la prise en charge de ses obligations de conservation du véhicule.
Ce nouveau virage pour le droit automobile laisse entrevoir une réduction du nombre de contentieux. Une perspective encourageante, qui devra s’accompagner d’une attention accrue portée aux contrats proposés, nouveau socle de la relation entre les parties. Un conseil : restons vigilants sur les angles morts.