Dans le flux tendu de l’actualité, il est fréquent de voir des imprécisions ou idées reçues s’imposer dans le récit médiatique. “Dans les faits” prend du recul et remet le droit au centre des débats.
Le contexte médiatique 

« Passage en force », « brutalité », « déni de démocratie ». Au cours du premier trimestre, les débats autour de la réforme des retraites ont soulevé une vague de commentaires courroucés. En cause : le recours au « 49-3 » pour adopter le 17 mars le projet de loi de financement rectificative de la sécurité sociale pour 2023, dont la mesure phare est l’allongement à 64 ans de l’âge légal de départ à la retraite. 

Ces critiques véhémentes ne s’étaient alors pas cantonnées à l’opposition. “Les institutions de la Ve république sont-elles encore viables et démocratiques ?”, s’interrogeait ainsi France Culture, tandis que l’émission Quotidien décrivait un débat parlementaire marqué par “les procédures les plus brutales prévues par la Constitution” et que Le Monde qualifiait le onzième 49.3 actionné par Elisabeth Borne de “coup de menton de trop”.

Loin du tumulte inhérent au débat public, ce moment marquant de la vie démocratique française est pour nous l’occasion de revenir, avec recul, sur cette procédure constitutionnelle qui déchaîne régulièrement les passions. 

Que dit le droit ?

Le troisième alinéa de l’article 49 de la Constitution – c’est ainsi qu’il faut le désigner – est l’une des procédures qui traduisent le principe de la responsabilité du Gouvernement devant le Parlement, c’est-à-dire, plus précisément, la possibilité pour l’Assemblé Nationale de le forcer à démissionner.

Le Premier ministre peut d’abord engager cette responsabilité sur son programme ou une déclaration de politique générale. C’est ce que l’on appelle la « question de confiance », prévue au premier alinéa de l’article 49. L’initiative peut aussi venir de plus d’un dixième des députés, qui peuvent proposer le vote d’une « motion de censure », en application du deuxième alinéa de l’article 49. Celle-ci ne peut être adoptée qu’à la majorité absolue des députés et seuls les votes favorables à la motion sont recensés. Autrement dit, seuls votent ceux qui souhaitent renverser le Gouvernement, les autres étant en quelque sorte présumés le soutenir.

Le troisième alinéa, qui nous intéresse ici, emprunte un peu aux deux procédures précédentes. Il s’agit pour le Premier ministre d’engager la responsabilité du Gouvernement sur un texte. Il peut s’agir soit d’un projet de loi de finances ou d’un projet de loi financement de la sécurité sociale, auquel cas il peut y avoir recours sans limite, soit d’un texte normal, mais alors une seule fois par session (ce qui vise les périodes au cours desquelles le Parlement se réunit pour délibérer, la session ordinaire courant d’octobre à juin). Le mécanisme est simple : le texte est « considéré comme adopté », sauf si une motion de censure est déposée dans les 24 heures, et votée dans les 48 heures qui suivent, auquel cas le Gouvernement est renversé et le projet de loi tombe avec lui.

A quoi sert cette procédure ?

L’article 49 alinéa 3 a été inséré dès 1958 dans la Constitution de la Ve République, à l’initiative de plusieurs acteurs de la IVe, qui avaient constaté l’instabilité ministérielle qui caractérisait cette dernière. Sans être renversés dans les formes prévues par la Constitution, les gouvernements se voyaient refuser des lois qu’ils jugeaient pourtant essentielles à leur politique, et n’avaient souvent d’autre choix que de démissionner.

Le mécanisme est conçu pour éviter ces blocages et assurer l’efficacité gouvernementale, en plaçant les députés devant leurs responsabilités. Si une motion de censure est déposée dans le délai, le débat ne porte plus sur le projet de loi en cause, mais sur la survie du Gouvernement. La question posée aux députés est celle de savoir si leur opposition au texte est telle qu’elle justifie de renverser le Gouvernement. L’efficacité du procédé est d’autant plus grande que plane, en cas de censure, la menace d’une dissolution de l’Assemblée par le Président de la République.

Il s’agit donc d’un outil fait pour les gouvernements sans majorité ou ne disposant que d’une majorité fragile.

Est-ce bien démocratique ?

La question dépasse sans doute le champ de la présente rubrique, mais l’on se cantonnera ici à des considérations juridiques. Il est vrai que l’utilisation de l’article 49 alinéa 3 met un terme soudain au débat parlementaire sur un texte. On peut aussi s’interroger sur les effets de son utilisation combinée avec d’autres procédures limitant ces débats, même si le Conseil constitutionnel n’y a rien trouvé à redire dans sa décision du 14 avril 2023.

Pour autant, la critique le qualifiant d’intrinsèquement antidémocratique semble infondée. D’abord parce qu’il s’agit d’un outil adopté par le constituant en 1958, et confirmé pour l’essentiel en 2008, dans le cadre d’une réforme tendant d’ailleurs à renforcer les droits du Parlement. Ensuite, parce qu’en engageant sa responsabilité et en s’exposant à la censure par l’Assemblée nationale, le Gouvernement met en œuvre une mécanique qui est le cœur de toute démocratie parlementaire. Enfin, parce qu’« au-delà de la représentation du peuple dans la diversité de ses opinions, la démocratie implique de prendre des décisions. Pour cela, il faut créer des majorités », comme le rappelle le professeur Jean-Philippe Derosier.

En réalité, si l’usage de cette procédure a pu apparaitre, dans les médias et l’opinion publique, comme injuste, tout porte à croire que les modalités d’adoption de la loi sur la réforme des retraites étaient moins en cause que son contenu.

Ce qui, lors des débats que suscite chaque utilisation de l’article 49 alinéa 3 quant à l’intérêt de changer de Constitution, doit inciter à la prudence. Comme l’exposait le constitutionnaliste Guy Carcassonne : « Que la Ve soit critiquable, il n’y a aucun doute. Qu’elle puisse souvent gagner à se réformer est une évidence. Qu’aucun tabou ne doive rien protéger est sain. Mais au moins faut-il constater qu’elle est aujourd’hui la dernière structure encore solide dans un paysage politique par ailleurs dévasté, de sorte que l’urgence de la détruire à son tour n’apparaît pas certaine ».

  • publié le 20 juin 2023