« L’humeur de » vous propose de découvrir la réflexion d’un(e) associé(e) d’UGGC Avocats sur des sujets liés à son expertise. Dans cette première édition, David Gordon-Krief nous rappelle à quel point le droit est un levier d’influence internationale dans un monde polarisé.

 

Un siècle après les Années folles, c’est un autre type de “folies”, hélas moins réjouissantes, qui imprègne l’actualité internationale depuis 2020. Après la pandémie de Covid-19 qui a paralysé l’activité humaine sur tous les continents, et dont les conséquences perdurent malgré l’amélioration sur le plan sanitaire, l’avènement d’un conflit majeur aux portes de l’Europe a radicalement changé la donne dans la plupart des secteurs (économiques, diplomatiques, militaires, etc.).

Parmi les nombreux enseignements à tirer de l’invasion de l’Ukraine lancée par la Russie depuis février 2022, une notion semble utile à rappeler : le droit est un outil de soft power. Et pas uniquement en temps de guerre. C’est un levier de pouvoir qui joue un rôle considérable dans la lutte que se livrent les Etats et les entreprises sur le plan international. Les Etats-Unis l’ont compris depuis de nombreuses années. Après l’effondrement du bloc soviétique, Washington a ainsi soutenu la “reconstruction” des pays d’Europe de l’Est et leur conversion à l’économie de marché souvent accompagnée par une adhésion à l’Union Européenne et parfois à l’OTAN, au grand dam du voisin russe désormais frappé par un train de sanctions internationales (contrôle ou interdiction des importations et des exportations, suspension et limitation des visas, etc.)

Nul ne peut prédire avec certitude l’issue du conflit et ses conséquences à court et moyen termes. Engagé vers une indispensable reconstruction, l’avenir de l’Ukraine, et à travers elle celui de l’Europe, ne pourra s’envisager qu’avec le renforcement d’un système juridique efficace, performant et cohérent. Des tribunaux indépendants, une faible corruption, des garanties en matière de droit foncier, de droit de la propriété intellectuelle ou de droit social sont nécessaires afin d’assurer  une politique économique performante et ambitieuse. Ces protections et garde-fous sont essentiels pour envisager sereinement la restauration de l’État de droit dans ce pays aux 44 millions d’habitants, du moins avant l’exil forcé d’une large partie de sa population.

Quel rôle peut jouer la France dans ce contexte géopolitique explosif, au-delà des interventions diplomatiques ? Dans un environnement où les jeux d’influence se croisent et s’entrecroisent, la compétition n’est pas qu’économique et commerciale : la concurrence s’exprime également en termes de modèles de société, de prévalence de systèmes de droit, de principes. La puissance d’un pays se mesure à l’aune du prestige de son droit, et la France dispose de réels atouts liés à sa culture juridique : le droit continental est clair, écrit, lisible et ordonné autour d’un système de pensée rigoureux. 

La valorisation du droit continental face au système juridique anglo-saxon dit de Common Law doit trouver une place significative parmi les instruments de notre diplomatie d’influence politique et économique. À nous, Européens, de nous unir afin de le promouvoir dans les enceintes multilatérales et dans le cadre des programmes de coopération internationale voués à se multiplier dans les années à venir.  

  • publié le 6 juin 2023