La disparition en 2017 de la rock star a provoqué une querelle de succession ultra-médiatisée. À quelques années près, la presse people n’aurait pas été en mesure de proposer le feuilleton de cette brouille familiale. La rubrique [Uchronique] vous explique pourquoi.

“Noir, c’est noir”. Les dernières semaines ont été marquées par la disparition d’une rock-star des prétoires, celle de l’immense avocat Hervé Temime. Quelques années auparavant, ce talentueux pénaliste avait représenté Laura Smet dans le désormais ancien conflit judiciaire provoqué par la disparition d’un autre monstre sacré, Johnny Hallyday․ 

De nombreux feuilletons judiciaro-médiatiques incitent à “refaire l’histoire”. Dans le cas du clash familial consécutif au décès de l’interprète d’Allumer le feu, une chose est sûre : à deux années près, sa mort n’aurait pas eu les mêmes conséquences en matière d’héritage et d’animosité par avocats et magazines people interposés.

Souvenirs, souvenirs

Retour en arrière. L’artiste aux dizaines de millions de disques vendus disparaît le 5 décembre 2017, à l’âge de 74 ans. Il laisse derrière lui quatre enfants : deux adultes (David, Laura) et deux mineures (Jade et Joy). Notre regretté confrère Temime avait alors dû se pencher sur les principes de droit international privé ainsi que sur les règles civiles et trustales applicables à la succession du plus célèbre des rockers français․ Ce dernier avait, contre toute attente, établi en guise de testament une lettre de vœux selon laquelle il optait pour la loi des Etats-Unis, pays dont il se considérait résident․ Difficile en réalité de qualifier ce texte de “testament” au regard de sa forme manquant cruellement de rigueur juridique et de son contenu parfaitement incohérent avec la réglementation européenne pourtant revendiquée.

C’est cette lettre, en plus de la création d’un trust aux Etats-Unis au seul bénéfice de son épouse Laetitia, qui a déclenché peu après son décès une guerre intestine au sein du clan Hallyday dont l’ampleur et l’écho médiatique furent à la mesure de la notoriété de la star.

L’envie

Ce choix de la loi américaine maladroitement formalisée par Johnny avait à l’évidence pour but de faire échapper sa succession aux dispositions du code civil français. Plus particulièrement, à la règle de la réserve héréditaire, ce véritable totem français qui impose aux parents de transmettre à leurs enfants (fussent-ils légitimes, naturels ou adultérins) une quote-part substantielle de leur patrimoine. Depuis des siècles, cette règle les privent d’une liberté testamentaire dont les nationaux et résidents des pays de Common Law jouissent pleinement

Pour mémoire, le Règlement (UE) n°650/2012 du 4 juillet 2012, dit règlement successions autorise toute personne à choisir sa loi nationale pour régir sa succession (article 22 du règlement), par exception à celle de son pays de résidence. Cette règle de conflit de lois désormais bien connue des praticiens l’était peut-être moins, à l’époque, par les conseils de Johnny, ces derniers ayant fait opter leur client pour la loi de sa résidence.  

Après les obsèques de leur père, les aînés de Johnny ont donc été confrontés à ce que nombre d’enfants de familles recomposées peuvent connaître : l’influence de la dernière compagne, épouse ou concubine qui, en arguant légitimement ou non des besoins financiers des derniers nés, hérite de tous les biens composant la succession de son époux. Une telle situation déshérite de facto les premiers nés devenus adultes et parfois distants du parent disparu en raison de l’intimité concurrente avec sa “nouvelle” famille․  

Vivre pour le meilleur

La préférence de l’icône nationale pour la loi américaine, à la réputation libertaire et égoïste face à la loi successorale française, plus protectrice des enfants, crée une onde de choc chez ses fans (mais pas seulement). Il serait sans doute mensonger d’affirmer que la situation des aînés de Johnny a conduit nos parlementaires à faire évoluer le droit national․ Toutefois, force est de constater qu’au motif de lutter contre les discriminations pouvant résulter de législations successorales d’autres États, le Parlement a voté au cœur de l’été 2021 une loi qui aurait clairement changé le cours de “l’Histoire hallydesque”. Elle protège en effet les droits réservataires des enfants français et européens qui se trouveraient déshérités en application d’une loi étrangère․

Ainsi, la loi du 24 août 2021, codifiée à l’article 913 du Code civil, introduit une nouvelle règle de conflit selon laquelle la réserve héréditaire prévue en droit français trouve à s’appliquer si trois conditions cumulatives sont réunies : 

  • La loi étrangère applicable à la succession du défunt ne prévoit pas de mécanisme réservataire protecteur des enfants 
  • Au moins l’un des enfants réside habituellement dans un État membre de l’Union européenne ou est ressortissant d’un tel État
  • Le défunt détenait des biens situés en France 

Dans le cas des aînés Hallyday, ces trois conditions sont clairement réunies.

Sang pour sang

Désormais, en l’état du droit français, des enfants déshérités par l’effet d’une loi étrangère pourront donc être indemnisés par les héritiers plus chanceux si les conditions susvisées sont réunies․ Nul doute que Laura Smet et David Hallyday -qui auraient apprécié de pouvoir bénéficier d’une telle législation protectrice de leurs droits, voire “réparatrice” de liens familiaux endommagés par des dispositions vécues comme une trahison.

Tout comme Laura et David, nombre d’enfants doivent regretter, au-delà de la disparition de leur proche, que cette loi ne soit applicable qu’aux successions ouvertes depuis le 1er novembre 2021. En effet, contrairement à la loi pénale, la loi successorale ne peut avoir d’effets rétroactifs. “Laisser derrière toutes nos peines / Nos haches de guerre, nos problèmes”, se consoleront les descendants malchanceux en fredonnant.

  • publié le 6 juin 2023