Avec la rubrique « Latitudes », 90° change d’échelle pour décrypter le droit au niveau international. Pour cette première édition, notre GPS indique 4°15′ 00″ N, 16° 52′ 00″ O : direction le Sénégal.

Bienvenue à Akon City, la ville nouvelle imaginée et impulsée par le rappeur américain d’origine sénégalaise Akon. Située à 100km au sud de Dakar, elle ne craint pas les superlatifs. Ultra-moderne, connectée, verte et autonome, elle abrite des bureaux et des logements dernier cri, un hôpital aux équipements digitalisés, un campus universitaire international, un hub de recherche technologique, un district consacré au tourisme (avec casino, hôtel, spa, marché africain), et même Senewood, un studio de production cinéma.

Coût du projet ? Six milliards de dollars. Modèle de financement ? Un mixte entre un consortium international et Akoin, la crypto monnaie lancée en 2021 par la star. 

Mais voilà…  Akon City, pour le moment, n’existe pas. Trois ans après la pose de la première pierre, il n’y a rien des 5 hectares qui auraient dû être achevés en 2022. La faute au COVID d’après la star. Mais la photo de la stèle posée à l’inauguration du chantier en 2020, désormais seule au milieu d’un terrain vague immense, semble être une représentation tristement iconique des projets de villes nouvelles inachevées ou du moins pas à la hauteur des ambitions affichées. 

Les villes nouvelles, mirages ou horizons ?

Les villes nouvelles sont présentées comme des cités durables, capables de désengorger les capitales, d’anticiper des flux massifs de population et de proposer des modèles de développement durable. Elles sont aussi pour les pays qui les abritent un signe fort de modernité, de maturité économique et un modèle d’attractivité des investissements étrangers.

Outre Akon City, il y a notamment en Afrique : Diamniadio (Sénégal), Eko City (Nigeria), Vision City (Rwanda), Sémé City (Bénin) ou encore Yennenga (Burkina Faso). Pas étonnant lorsqu’on pense aux 950 millions d’habitants urbains supplémentaires attendus sur le continent d’ici à 2050 ! Et il faudrait de 130 à 170 milliards de dollars US d’investissement par an d’ici 2030 selon la BAD¹ pour financer les infrastructures sur le continent. Autant d’incroyables opportunités d’investissement pour les acteurs économiques et les États, au regard des enjeux imminents de réchauffement climatique et de mouvements migratoires.

Parmi tous ces projets, les résultats sont contrastés. Certaines villes ont vu le jour et remplissent en tout ou en partie leur objectif initial. D’autres, comme Akon City, ont toujours des allures de doux rêve avec de magnifiques vidéos et plans d’architectes mais rien sur le terrain. 

Une troisième voie observable : celle des villes sorties de terre mais devenues soit des “cités dortoirs” pour les classes populaires, soit des “villes fantômes” qui n’ont pas trouvé leur public car trop chères et élitistes. Dans les deux cas, il est à regretter un manque d’infrastructure pour créer du lien social et un isolement  dû à un mauvais raccordement aux réseaux de mobilité. 

Il ressort de ce constat que ce type de projet nécessite la collaboration d’une multitude d’acteurs publics et privés, locaux et internationaux. Il faut penser l’habitat, la mobilité, l’énergie, l’accès à l’eau,  à l’assainissement et aux services de santé. Il faut aussi anticiper la présence de services publics, de pôles d’activités économiques (administrations, zones industrielles, universités, palais des congrès), de transports pour raccorder aux aires urbaines actives.

Quelle architecture juridique pour les villes nouvelles en Afrique ?

Pour éviter les déceptions (retards, erreurs de planification, etc.), il est impossible de se contenter d’un simple MoU² ou protocole d’accord cadre. Le projet doit s’accompagner d’un plan urbain cohérent avec les besoins des populations, dans un cadre légal et économique pérenne. Dans les années 1970 par exemple, les villes nouvelles achevées en France avaient été implantées via des schémas directeurs précis.

Ces cadres ont pour rôle de sécuriser les financements, assurer la rentabilité, anticiper la gestion des risques. 

Certains de ces risques sont liés à des sujets auxquels le continent africain est plus enclin, comme les problèmes de gouvernance, l’instabilité politique, la volatilité des taux de change, l’inadaptabilité des outils “classiques” de financement ou la solvabilité des acteurs concernés. 

Un autre point propre à l’Afrique est celui du foncier. Dix pourcent des terres africaines sont immédiatement commercialisables, les autres échappant à une maîtrise foncière claire, faute de titre foncier ou de référence cadastrale. Il est également fréquent que dès leur genèse, l’accès au foncier de ces projets se heurte à des obstacles dûs au nombre élevé d’intermédiaires et collectivités de population soumis à l’application de droits coutumiers et communautaires. Résultat, les initiatives privées ne peuvent s’affranchir d’un partenariat public pour accéder à la surface foncière suffisante. A ce jour, la quasi-totalité des villes nouvelles africaines ont une emprise foncière résultant d’une cession ou d’une occupation du domaine public. 

Enfin, pour pouvoir faire une projection réaliste de la rentabilité d’un tel projet, il faut anticiper la place prépondérante de l’informel dans les systèmes économiques africains. Nombreuses sont les activités commerciales qui échappent à l’impôt. Cela implique un “business plan” qui ne nie pas cette spécificité, mais parvient à s’adapter à cette dimension.

Quant aux formats d’investissement, il faut revenir à du pragmatisme. Des projets d’une telle envergure semblent vains s’ils ne sont pas portés par une pluralité d’acteurs. Le modèle de PPP³ qui implique un engagement étatique fort et des investisseurs robustes (privés ou institutionnels, comme l’AFD ou la BAD) paraît être l’un des modèles les plus éprouvés. Il faut une “UX juridique” à la fois agile et robuste pour lier ces acteurs et instaurer de la confiance, des règles du jeu et des arbitres fiables. Dans la formule gagnante, l’Etat tient ses engagements en termes de déploiement des infrastructures et de politiques publiques fortes pour impulser l’attractivité de la ville nouvelle, tandis que les investisseurs ne font pas défaut sur les investissements promis, en dépit de contextes globaux parfois difficiles et incertains.

L’Afrique, laboratoire du futur ?

Car dans le monde contemporain, bien au-delà des frontières du continent, l’exceptionnel est devenu courant. Des facteurs exogènes comme les effets de la pandémie et des guerres sur les prix, le coût de la dette et le taux d’inflation impactent les projets. La solution : définir, de manière concomitante à l’architecture urbaine, une architecture juridique et financière garante de la pérennité du projet.

La réussite des projets de villes nouvelles passera par une meilleure anticipation juridique des risques avec pour finalité le maintien des engagements contractuels et financiers des parties concernées. La sécurisation des engagements et la pérennisation des investissements financiers doivent être pensées ab initio et s’inscrire au cœur de la stratégie globale. Il est illusoire d’amorcer un projet sur la base d’un MoU ou protocole d’accord non engageant. Il faut un encadrement juridique strict, avec des mécanismes contractuels spécialement conçus pour anticiper difficultés, imprévus et limiter les exits des investisseurs (clause d’indexation et d’adaptabilité des contrats, clause d’imprévisibilité ou de hardship, insertion de clause MAC⁵ ou de force majeure extrêmement circonscrites, etc.).

Une autre dimension qui touche à l’Afrique mais dont  la portée est globale : les villes nouvelles de notre ère s’inscrivent dans un contexte mondial inédit d’urgence climatique et de limitation des ressources. Ici encore, un arsenal juridique adapté à ces enjeux doit être imaginé et déployé. Les premières émissions d’obligations vertes en Afrique il y a 10 ans ont lancé une dynamique positive en ce sens. L’émergence de fonds ESG⁴ et de fonds d’impact sur le continent dédiés est un signe d’évolution positive. Il est évident que les contextes environnementaux et sociaux ne sont pas les mêmes lorsque l’on construit une ville nouvelle en Finlande et au Nigeria. 

Cela requiert une spécialisation et une régionalisation des acteurs financiers, des critères ESG moins « occidento-centrés » et plus adaptés aux enjeux et contraintes du continent africain.

Vers un modèle d’investissement “Made in Africa” ?

Nul ne sait à ce stade si Akon City verra le jour. Au vu de articles parus récemment dans la presse, rien n’est moins sûr⁶. Le chanteur a annoncé que la construction de la phase 1 débutera finalement en 2023, pour une première livraison en 2026. Une illusion si le cadre juridique n’est pas correctement posé. En revanche, il est certain que les villes africaines nouvelles de demain pourraient devenir un modèle global, tant les enjeux cristallisés sur le continent concernent le monde entier. 

[Mise à jour, 24/05/2023] D’après une vidéo publiée le 20 mai 2023 par le compte Twitter @akoncitynews, les travaux auraient enfin démarré sur place. Le chanteur-entrepreneur ne s’est toutefois pas encore exprimé à ce sujet, et les médias locaux n’ont pas encore confirmé l’ampleur du chantier. Affaire à suivre !

 

 


  1. BAD – Banque Africaine d’Investissement
  2. Mémorandum of Understanding, ou protocole d’accord en VF
  3. PPP – Partenariats public/privé
  4. ESG – Environnementaux, Sociaux et de Gouvernance
  5. MAC – Material Adverse Change
  6. Enquête de la rédaction de Jeune Afrique, Avril 2023 ​​
  • publié le 23 mai 2023